La mort au combat
Toute la précédente campagne électorale de 2007 a résonné des efforts du candidat Nicolas Sarkozy, secondé par ses conseillers Henri Guaino et Max Gallo, de réenchanter, plus encore que la République ou la démocratie, la France comme nation et mémoire. La plaçant au-dessus de tout, il s’appliqua durant son quinquennat à redonner du sacré aux grands moments collectifs et officiels qui scandent la vie de la nation. Les gains politiques s’imposent dans leur évidence, et plus encore à la veille d’une nouvelle élection présidentielle où le président sortant se représentera en toute logique : porter haute la fonction présidentielle, bannir toute controverse en disposant un régime de sacralité, incarner l’unité nationale. Dernière initiative en date, celle d’aujourd’hui, avec la cérémonie particulière de l'Arc de Triomphe associant les familles des soldats français morts en Afghanistan, et l'annonce du dépôt, « dans les semaines qui viennent », d’un projet de loi visant à faire du 11 novembre la commémoration de « la Grande Guerre et tous les morts pour la France ».
Stéphane Audoin-Rouzeau, auteur de Combattre (Une anthropologie historique de la guerre moderne XIXe-XXIe siècle, Seuil, coll. « Les livres du nouveau monde », 330 p., 21 €) et d’études décisives sur la Grande Guerre dont Cinq deuils de guerre (Noésis, 2001, réed. Armand Colin 2014), a souligné (France 2, journal de 13 h) tout l’intérêt de cette réforme du 11 novembre qui permettra selon lui de restaurer dans la société la conscience et la compréhension de la mort au combat. Parlant en anthropologue, l’historien insista sur la capacité d’une telle commémoration à établir un lien plus fort entre les individus et la nation et à permettre aux affects des premiers de nourrir la construction de la seconde. Cette ambition d’un nouveau 11 novembre a un prix cependant, celui d’une part de diluer la spécificité du sacrifice de 14-18 et de risquer même d’oublier ce conflit puisque les événements les plus présents, où les morts sont les plus proches, viendront les premiers à l’attention publique, et celui, d’autre part, de suggérer qu'avec la réunion de tous les morts au combat toutes les guerres sont équivalentes. Chaque guerre existe dans son histoire et il est utile aussi de faire droit à l’histoire aussi bien qu’à l’anthropologie. Comment articuler les deux ? C’est tout l’enjeu de l’anthropologie historique (ou de l’histoire anthropologique) ! Et comment les articuler dans l'espace public, dans la vie de la nation ? Et comment réformer pour conserver l'essentiel ? Et quel essentiel privilégier, choisir ?
Vincent Duclert
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