Les deux Républiques
L’Essai
sur la citoyenneté des Juifs (en France et aux Etats-Unis) de l’historien
Pierre Birnbaum, tout à la fois professeur à la Sorbonne (Paris 1) et à la
Columbia University, dépasse de loin son sujet tout en le traitant de manière
admirable. En effet, il pénètre dans les profondeurs des sociétés françaises et
américaines révélées par leur rapport aux Juifs et à l’antisémitisme. Aux Etats-Unis
où les Juifs demeurent, surtout au tournant du XIXe siècle au XXe siècle, sous
la menace d’un accès de fièvre antijuive, raciste et xénophobe, la société se
tient éloignée des pires traditions antisémites européennes. « Le
pluralisme profond de la société américaine, sa décentralisation, la faiblesse
de son Etat préviennent les formes radicales de mobilisation, restreignent l’emprise
des idéologies et, en particulier, l’antisémitisme politique à la française
comme protestation contre la présence des Juifs au sein de l’Etat y est
réprouvé ». Pierre Birnbaum souligne ce
que peut le droit dans la lutte contre l’antisémitisme, en France où la
Cour de cassation réhabilite solennellement le condamné de 1899 (après avoir
déjà cassé le verdict de condamnation de 1894), aux Etats-Unis où, entre 1916
et 2010, huit juges juifs siègent à la Cour suprême. L’historien propose ainsi une
grande étude de « l’institution sur laquelle repose le système politique
américain », et dont la France n’a pas l’équivalent, les prérogatives de
la Cour suprême étant dispersées entre la Cour de cassation, le Conseil
constitutionnel, le Conseil d’Etat.
On oublie bien souvent que les Etats-Unis sont eux aussi une République, et que les « deux Républiques, la française et l’américaine, sont depuis toujours au cœur de l’imaginaire politique moderne ». Il convient de revenir toujours à l’une et l’autre, pour mieux les connaître et les comprendre et, pourquoi pas, pour imaginer « la construction d’une maison, d’une vie sereine et pleine au sein de chacune des deux Républiques, [qui] s’inscrit donc, à chaque fois, dans une “géographie de l’espoir” faite de promesses distinctes mais aussi de désillusions dissemblables ». Il s'agit très précisément de concilier l'expression (à l'américaine) des identités religieuses avec l'affirmation (à la française) d'une citoyenneté égalitaire.
Géographie de l’espoir est le titre d’une autre étude de Pierre Birnbaum paru en 2002 chez le même éditeur, Gallimard. On mesure avec Les deux maisons (coll. Les essais, 417 p., 25 €) comment le chercheur est parvenu à poursuivre son œuvre sur les Juifs de France tout en la transformant décisivement en direction d'une philosophie des pouvoirs du droit et de l’esprit public. Mais on se souviendra que Pierre Birnbaum est aussi un sociologue et politiste de l’Etat.
Vincent Duclert
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