L'Europe entre Hitler et Staline
Le Président de la République s’est rendu ce matin dans le XVe arrondissement, là où s’élevait le Vélodrome d’Hiver où furent internées les familles juives raflées les 16 et 17 juillet 1942 à Paris par la police française, avant leur transfert dans des camps puis leur déportation à Auschwitz-Birkenau. Dans son discours, François Hollande s’est placé dans les pas de Jacques Chirac et de sa déclaration historique du 15 juillet 1995. (http://www.elysee.fr/president/les-actualites/discours/2012/discours-du-president-de-la-republique-pour-le.13674.html)
Les 13 000 victimes de cet acte irréparable pour la France éclairent le destin des 14 millions d’êtres humains massacrés entre 1933 et 1945, principalement par l’Allemagne nazie et l’Union soviétique stalinienne, sur un territoire qui s’étend de la Pologne centrale à la Russie occidentale en passant par l’Ukraine, la Biélorussie et les pays Baltes et que Timothy Snyder, professeur à l’Université de Yale, nomme les « terres de sang ». C’est le titre de sa considérable étude publiée aux Etats-Unis en 2010 et traduit en 2012 par Pierre-Emmanuel Dauzat pour les éditions Gallimard (coll. « Bibliothèque des histoires », 711 p., 32 €). La famine organisée en Ukraine par Staline pour détruire la classe des koulaks, que le juriste Raphael Lemkin identifia comme « l’exemple classique du génocide soviétique », débuta ces tueries en masse au sein desquelles prend place la Solution finale, elle-même divisée entre un processus de massacres à grande échelle sur le front de l’Est et un processus d’extermination industrielle qui s’appliqua notamment aux Juifs raflés en Europe occidentale. Si Timothy Snyder, après avoir établi cette succession de destruction à laquelle les nazis aussi bien que les staliniens soumirent les mêmes pays à quelques mois où à quelques années de distance, souligna la pertinence de la comparaison entre ces politiques de massacres de masse, il n’en oublia pas non plus de s’arrêter aux victimes, dans leur singularité lorsqu’il est possible de les nommer, de raconter leur brève existence et leur mort dans des souffrances insondables, elles que l’humanité a très largement oubliées. Seuls demeurent de rares écrits de témoins qui ont voulu voir ce que l’Europe et le monde avaient choisi d’ignorer, ce « petit groupe d’écrivains européens » auquel Snyder rend hommage et sur lesquels il appuie son enquête, Anna Akhmatova, Hannah Arendt, Józef Czapski, Günter Grass, Gareth Jones, Arthur Koestler, Georges Orwell, Alexander Weissberg. « Ce qu’ils ont en commun, c’est un effort soutenu pour considérer l’Europe entre Hitler et Staline, souvent au mépris des tabous de leur temps ».
Terres de sang transforme notre connaissance des génocides en montrant comment ceux-ci prennent aussi des formes de tueries classiques et comment ils s’inscrivent dans un continuum de terreur absolue. L’Europe est à jamais façonnée par l'extermination de ces populations à laquelle Timothy Snyder restitue une mémoire, grâce à l’histoire qu’il en donne au travers d’une œuvre qui marque l’historiographie contemporaine.
Vincent Duclert
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