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13 mai 2012 |

Jules Ferry et la République

La presse et les médias comme la Dépêche de Toulouse ont annoncé le 11 mai 2012 que le Président élu François Hollande fera suivre la passation de pouvoir au palais de l’Elysée de deux « gestes symboliques ».

« Le nouveau président de la République François Hollande rendra hommage mardi après-midi à l'ancien ministre de l'Education de la IIIe République Jules Ferry et à Marie Curie, prix Nobel de physique et chimie, a-t-on appris vendredi auprès de son équipe et de proches. A peine entré en fonction à l'Elysée, M. Hollande ira déposer une gerbe au pied de la statue de Jules Ferry, défenseur de l'école laïque au jardin des Tuileries. Il se rendra ensuite à l'Institut Curie pour rendre hommage à Marie Curie, a-t-on précisé de mêmes sources. [...] François Hollande a préféré lui rendre hommage à l'Institut Marie Curie pour ne pas mettre ses pas dans ceux de François Mitterrand qui en 1981 avait inauguré son septennat en allant se recueillir, dans ce temple des grandes figures du pays, une rose à la main qu'il avait déposée sur le cercueil de Jean Moulin. »

Précisons toutefois que Marie Curie est elle aussi au Panthéon désormais, depuis la décision du Président François Mitterrand d’y transférer ses cendres ainsi que celles de son mari Pierre, au cours de la cérémonie du 20 avril 1995, peu de temps avant la fin de son second septennat. La continuité est de mise dans les choix du nouveau Président de la République. Il est pourtant toujours utile de revisiter l’histoire de Marie Curie qui est aussi celle de l’intolérance de la République ou du moins de certaines de ses élites masculines et académiques. C’est ce que nous avons rappelé dans l’article d’hier (voir plus bas).

Blog ferry
Le choix de Jules Ferry pour porter le « geste symbolique » du nouveau président élu indique la priorité qu’il souhaite donner à l’école et à la politique scolaire durant les cinq prochaines années. Celui qui fut ministre de l’Instruction publique puis président du Conseil est considéré comme le père de l’école républicaine, honneur qu’il partage avec Ferdinand Buisson, longtemps directeur de l’enseignement primaire et chargé à ce titre de la conception et de l’application des principales lois scolaires. Vincent Peillon lui consacra un bel essai en 2010, Une religion pour la République. La foi laïque de Ferdinand Buisson (Paris, Seuil, coll. « La Librairie du XXIe siècle », 293 p., 19 €).

Blog gaillard
Entre Jules Ferry et François Hollande existe aussi une histoire de livre et de fidélité. L’un de ses plus proches amis, Jean-Michel Gaillard, disparu en 2005, et qu’il avait connu au cabinet de Max Gallo, porte-parole du gouvernement en 1983, est l’auteur de la biographie de référence du grand homme. Elle parut en 1989 aux éditions Fayard, dans la série des biographies historiques qui fait la réputation de cette maison. François Hollande est en pays connu avec Jules Ferry. La difficulté résidera cependant pour lui dans la nécessité de se garder du mythe et d’accepter l’autre volet de la politique ferryste, la colonisation dont il fut le grand promoteur et qui l’amena à se heurter vivement à Georges Clemenceau.

Voici un rappel de l’action de Jules Ferry à la tête du ministère de l’Instruction publique et du gouvernement de la République.

Vincent Duclert

 

 

Jules Ferry ou le gouvernement des républicains

 

 

Quand s’ouvrit la décennie 1880, les républicains étaient maîtres des institutions. Jules Grévy occupait la Présidence de la République, Léon Gambetta celle de la Chambre des députés, et le libéral Léon Say celle du Sénat. À la présidence du Conseil furent nommés successivement l’académicien William Waddington (le 4 février 1879), puis Charles de Freycinet (le 28 décembre), Jules Ferry (le 25 septembre 1880), Léon Gambetta (le 14 novembre 1881), Freycinet à nouveau (le 30 janvier 1882), Eugène Duclerc (le 7 août), Armand Fallières (le 29 janvier 1883), enfin Jules Ferry pour un second ministère, du 21 février 1883 au 30 mars 1885.

Les républicains régnaient aussi au Parlement. L’acte de soumission du président de la République à l’égard du Parlement en décembre 1877, qui renversait radicalement le système des pouvoirs imaginé en 1875, inaugura sa toute-puissance. C’est le temps d’un « parlementarisme absolu », selon l’expression du constitutionaliste Raymond Carré de Malberg, qui relevait que « la conscience des parlementaires était le seul tribunal de la constitutionnalité des lois », en l’absence de toute autre institution existante. Pour Jean-Marie Mayeur, « aucune borne de droit n’était donc mise à la puissance du Parlement ». Celui-ci était également juge des élections et validait les nouveaux élus. Il était maître de son règlement, fixait l’ordre du jour des séances, disposait d’un droit d’interpellation du gouvernement et se réservait la possibilité de le renverser sur le champ. Ce pouvoir, d’abord limité à la Chambre des députés, s’étendit au Sénat, par usage ; à partir de la chute le 15 mars 1890 du président du Conseil Pierre Tirard, qui avait essuyé un vote négatif de la Chambre haute. Le contrôle du Parlement se révélait donc essentiel, et il passait aussi bien par la victoire aux élections que par l’organisation de groupes parlementaires – en attendant les partis modernes qui émergeront au début du XXe siècle à la faveur de la liberté d’association accordée par la loi de 1901.

 

Jules Ferry et la tentation impériale

 

Le relèvement de la France ne passait pas seulement, pour les opportunistes au pouvoir, par le développement d’une démocratie politique. La construction d’un empire colonial mobilisa les dirigeants qui dominèrent les années fondatrices, Léon Gambetta et Jules Ferry. Le projet impérial n’était pas contradictoire pour eux avec le retour de « provinces perdues » dans le giron de la mère patrie, au contraire : en redonnant son rang à la France, il préparait la Revanche. Gambetta salua le traité imposant le protectorat français à la Tunisie par ces mots : « Il faudra bien que les esprits chagrins en prennent leur parti, un peu partout. La France reprend son rang de grande puissance ». Cependant, l’objectif colonial ne s’imposa pas d’emblée comme une priorité politique. Arrivé aux affaires en septembre 1880, Jules Ferry s’investit surtout dans la politique scolaire. Les deux grandes lois auxquelles il donna son nom datent respectivement du 16 juin 1881 (gratuité de l’enseignement primaire) et du 28 mars 1882 (l’instruction laïque et obligatoire).

Le président du Conseil avait laissé au ministre des Affaires étrangères Jules Barthélemy-Saint-Hilaire la tâche de conduire la politique coloniale. Celle-ci relevait alors surtout du directeur politique du Quai d’Orsay, le baron Alphonse Chodron de Courcel, partisan d’une action énergique en ce domaine. Il plaidait notamment pour une intervention en Tunisie - une régence qui avait conquis son indépendance à l’égard de l’empire ottoman, et où les intérêts français étaient menacés, soit directement, soit indirectement par sa proximité avec l’Algérie. Le gouverneur général de l’Algérie Albert Grévy, frère du président de la République, et le consul général à Tunis Théodore Roustan poussaient eux aussi à l’action. En marge du traité de Berlin, la France avait même reçu de la Grande-Bretagne des encouragements à intervenir dans cette région. La décision fut prise par le gouvernement Ferry à la suite du massacre par les Touaregs d’une colonne française de 400 hommes chargés d’ouvrir une route transsaharienne entre l’Algérie et le Niger.

Le 4 avril 1881, Jules Ferry demandait à la Chambre des crédits pour une opération militaire contre le bey de Tunis, jugé responsable du massacre. Le corps expéditionnaire français, qui comptait près de 40 000 hommes, soumit la Tunisie en quelques semaines. Le 12 mai 1881, Sadok Bey était contraint de signer (au palais de Ksar Saïd, à Bardo) le traité qui instaurait un protectorat français sur le pays. Dès le le 23 mai, il fut ratifié par la Chambre à l’unanimité, moins une voix, celle du radical Clemenceau, qui accusa Jules Ferry d’avoir dissimulé les véritables objectifs de l’intervention. Clemenceau s’opposait à la politique impériale pour des raisons de principe qui tenaient aussi bien au rejet de la thèse de l’inégalité des races qu’au refus d’affaiblir la métropole en face de la puissance allemande. Charles-Robert Ageron note dans Clemenceau et la justice qu’il fut très isolé dans sa campagne anti-colonialiste, et incompris de ses contemporains : « Mais aujourd’hui que s’est refermée pour l’Europe l’ère de la colonisation, on aurait plutôt tendance à le louer d’avoir été un visionnaire méconnu, puisqu’il avait condamné toutes les formes de l’impérialisme ». Son arrivée à la tête du gouvernement le 25 octobre 1906 n’ouvrit pas pour autant une phase de politique anticoloniale.

Le harcèlement des opportunistes par l’extrême gauche radicale ne se limitait pas à la question coloniale. Clemenceau rouvrit les hostilités le 26 juillet 1881, en prenant prétexte du changement de date décidé par le ministère de l’Intérieur pour les élections générales, ramenées de la fin du mois de septembre au 21 août : « Est-il vrai que vous avez l’intention de précipiter les choses, de brusquer le suffrage universel et d’ouvrir la période électorale sans avertissement préalable, aussitôt que le Parlement sera séparé ? Et, si cela était vrai, avez-vous réfléchi que l’action que vous allez commettre a tous les caractères d’une surprise, d’une manœuvre électorale ? » Contesté par un parti radical de plus en plus puissant, et qui venait de se doter d’un nouveau journal, La Justice, Jules Ferry se rapprocha de Léon Gambetta qui opérait, pour sa part, un recentrage à droite. Cette tactique s’avéra payante sur le plan électoral.

 

 

Les élections législatives d’août 1881 et l’échec du « grand ministère »

 

Léon Gambetta fut sérieusement chahuté par ses partisans, mécontents de ses nouveaux choix politiques, lors d’une mémorable réunion parisienne à Charonne le 17 août. Mais sa stratégie s’avéra payante : avec 204 sièges, son groupe, l’Union républicaine, devint la première formation républicaine, devant la Gauche républicaine de Jules Ferry (168 élus). Le centre gauche ne dépassait pas les 39 élus, mais l’extrême gauche de Clemenceau progressait, avec 46 sièges. 7 députés républicains siégeaient à droite, au côté de 90 conservateurs (à égalité entre monarchistes et bonapartistes).

Immédiatement reconduit, le cabinet Ferry se retrouva aussitôt aux prises avec les affaires tunisiennes. En dépit d’une vive défense de son action, Jules Ferry dût démissionner. Le président de la République se résigna alors à charger Léon Gambetta de former le nouveau gouvernement. La composition du cabinet fut laborieuse. Annoncée le 14 novembre 1881, elle déçut l’opinion qui ironisa sur le « grand ministère ». Même si de hautes figures comme Henri Brisson, Paul Challemel-Lacour ou Charles de Freycinet refusèrent d’en faire partie, des personnalités d’avenir avaient accepté de suivre Gambetta : Félix Faure (qui deviendra président de la République en 1895), Maurice Rouvier, Pierre Waldeck-Rousseau (tous deux futurs président du Conseil). Le nouveau gouvernement comptait également deux nouveaux ministères, celui des Arts, confié à Antonin Proust, et celui de l’Agriculture, attribué à Paul Devès (assisté d’Edmond Caze).

D’emblée, la tâche de Gambetta s’avéra très délicate ; en raison de l’hostilité sourde de ses amis politiques plus encore que de ses adversaires. La Chambre ne lui laissa aucun répit. Son projet de révision constitutionnelle limitée subit les attaques conjointes de Georges Clemenceau et d’Alexandre Ribot. Le président du Conseil ne parvint même pas à empêcher la division de l’Union républicaine : avec une fraction des gambettistes et l’apport de députés radicaux, René Goblet fonda la Gauche radicale. De leur côté, le président de la République et son gendre Daniel Wilson s’employèrent à ruiner la réputation de Gambetta dans les milieux politiques et auprès de l’opinion publique. On en vint à lui attribuer la responsabilité du krach de l’Union générale - qui allait ruiner plusieurs milliers de Français - alors que la banque catholique n’avait été victime que de l’incompétence de sa direction.

L’ouverture du débat parlementaire sur la révision constitutionnelle, le 26 janvier 1882, fut fatale à Gambetta. Le président du Conseil lança alors à ses adversaires : « je m’inclinerai devant votre verdict. Car, quoiqu’on en ait dit, il y a quelque chose que je place au-dessus de toutes les ambitions, fussent-elles légitimes, c’est la confiance des républicains, sans laquelle je ne saurais accomplir ce qui est – j’ai bien droit de le dire – ma tâche dans ce pays : le relèvement de la patrie. » Sa déclaration ne suffit pas à calmer les oppositions à sa personne tout autant qu’à sa politique. Il perdit le soutien de la Chambre par 268 voix contre 218. Gambetta quitta aussitôt l’enceinte du Palais-Bourbon avec ses ministres et une cinquantaine de députés fidèles, pour aller remettre sa démission au président de la République ; un président qui n’avait reculé devant aucune compromission pour l’obtenir. La République entrait dans l’âge de l’instabilité ministérielle. Les grandes réformes se poursuivirent cependant. Elles permirent de doter le régime d’un socle de principes démocratiques.

 

 

Le second ministère Ferry

 

Après l’échec du « Grand ministère » conduit par Léon Gambetta (novembre 1881-janvier 1882), suivirent d’éphémères gouvernements (dirigés par Eugène Duclerc et Armand Fallières) avant que Jules Ferry ne parvint à prendre sa revanche. La mort de Gambetta le 31 décembre 1882 avait permis de rassembler le camp républicain divisé et de rouvrir les portes du pouvoir à l’ancien ministre de l’Instruction publique. « La voie est enfin ouverte à un gouvernement stable, observe son biographe, Jean-Michel Gaillard. L’équipe tiendra deux ans. L’exploit n’est pas mince et chacun peut aujourd’hui encore mesurer l’ampleur de son action ».

Le second ministère Ferry se présenta devant les Chambres le 22 février 1883. Dans un discours qui fit date, le président du Conseil évoqua l’équilibre à maintenir entre le « droit supérieur de la République » et les « libertés nécessaires », et il rappela le principe de sa politique « opportuniste ». Cette méthode de gouvernement s’illustra particulièrement lors des débats relatifs à l’épuration de la magistrature par le moyen de la suspension de l’inamovibilité des juges. A la charge de Jules Simon, scandalisé par « une loi fatale à tout ce que aimons, fatale à la justice, fatale au pays, fatale à l’honneur de la France », Jules Ferry se défendit en arguant que « la politique dans ce pays consistera toujours dans l’art de céder devant l’opinion. » La loi fut finalement votée le 1er août et promulguée le 30. D’autres grandes réformes suivirent comme la loi très libérale du 22 mars 1884 instituant les syndicats (adoptée grâce à l’engagement du ministre de l’Intérieur Pierre Waldeck-Rousseau), la loi du 5 avril 1884 sur l’organisation des pouvoirs municipaux, la loi du 27 juillet 1884 autorisant le divorce pour faute (et non par consentement mutuel), la révision constitutionnelle (votée par le Congrès réuni à Versailles le 13 août 1884), ou encore la réforme limitée de la Chambre haute (nécessaire, selon Jules Ferry, pour assurer la stabilité de la République).

 

 

La question coloniale fatale

 

Jules Ferry appliqua la même méthode opportuniste à sa politique coloniale ; une politique qu’il voulait néanmoins ambitieuse. Poursuivant l’action entreprise lors de son premier gouvernement avec le protectorat établi sur la Tunisie, il avait créé un Conseil supérieur des colonies en 1883 pour coordonner sa politique en la matière et s’était lancé dans la conquête de l’Annam, puis dans celle du Tonkin l’année suivante. Mais l’avancée des Français dans le Tonkin les mettait au contact de l’armée chinoise. L’affrontement aboutit le 29 mars 1885, au revers (plutôt qu’à la défaite) de Lang-Son. Dès le lendemain, Jules Ferry demandait à la Chambre de nouveaux moyens pour cette guerre qui ne disait pas son nom. Georges Clemenceau riposta vivement à celui que l’opinion radicale et modérée traitait de « Ferry-Tonkin » : « Nous ne voulons plus vous entendre, nous ne voulons plus discuter avec vous les grands intérêts de la patrie. Nous ne vous connaissons plus ; nous ne voulons plus vous connaître. » Jules Ferry fut mis en minorité sur à l’occasion du vote des crédits militaires. Une « conjonction des extrêmes » allant des radicaux aux monarchistes mettait fin à une longue expérience réformatrice en ce jour du 30 mars 1885. Jules Ferry remit aussitôt sa démission à Jules Grévy. La fin de son ministère marquait le terme de la construction républicaine du régime et des réformes fondatrices. Le pays allait désormais être gouverné sans ambitionner de faire progresser la République. Restaient une œuvre inachevée, des imaginaires et une liberté.

La contribution de Jules Ferry à la politique républicaine a été considérable : la longue missive que lui adressa le conseil municipal de Lons-Le-Saunier après sa chute le 3 avril 1885 en témoigne. Son rôle n’était pas terminé, comme le démontrera sa résistance au boulangisme. Mais son retour aux affaires s’avèrera « impossible » comme l’écrit Jean-Michel Gaillard ; même si son élection à la présidence du Sénat le 24 février 1893 sonna comme une demi-revanche. Mais il devait mourir quelques semaines plus tard, le 17 mars.

 

Vincent Duclert

 

 

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Commentaires

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Petites précisions sur Jules Ferry, Marie Curie, et Clemenceau .... avec l'aide de Roger Godement :-)

- Marie Curie n’y est pour rien …mais quand même
- Jules Ferry. Mieux … Clemenceau. Et encore mieux, la ++conscience universelle++.
- Annexe : Emile Pouget, Barbarie française, « Le père peinard », 1889.
Suite sur
http://blogs.mediapart.fr/blog/micheldelord/200512/jules-ferry-marie-curie-la-theorie-du-camp-la-methode-intuitive-et-aut

Michel Delord

 

En effet, le choix est vraiment malheureux.

 

En plus de la colonisation du Tonkin, de la Tunisie, de Madagascar sans considération pour les habitants de ces pays, contrairement à Clémenceau, il a lancé ses hussards de la réplique sur la province avec pour consigne d'éradiquer les langues régionales.
Mr Hollande va lui rendre hommage, c'est une trahison,
pire une maladresse.

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