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06 juin 2011 |

« Un ministère demande du courage »

Blog lemaire 
Si la sécheresse frappe autant les esprits, c’est notamment parce que ses conséquences touchent profondément l’élevage ovin et bovin, affectant la survie des troupeaux et des exploitations. Des éleveurs en nombre croissant sont contraints de vendre une partir de leur cheptel pour sauver l’autre en économisant ainsi sur le nombre d'animaux à nourrir aussi bien que sur le volume nécessaire de nourriture. Mais ils se séparent de bêtes souvent jeunes, qu’ils ont parfois nourries au biberon, et qui finissent leur courte existence dans des abattoirs déjà saturés par le nombre d’animaux entrants. L'amputation des troupeaux, c'est le sacrifice de la raison d'être des élevages.

Mais pourquoi l’élevage polarise-t-il tant, au-delà de ceux qui en vivent, les représentations d’une société très majoritairement urbaine et presque totalement coupée des activités agricoles ? Parce que, dans l’élevage, se tient quelque chose de l’historicité des campagnes et de ses pratiques, et du rapport que nous entretenons, confusément mais réellement, avec elles. L’élevage est l’activité qui scelle le rapport de l’homme avec les paysages et l'existence rurale, y compris et d’abord dans un emploi du temps absolument gouverné par le souci des animaux et des troupeaux. Rien à voir avec la disponibilité du céréalier à cet égard. Les fermes d’élevage réservent aussi leur part agricole à la production de foin, de fourrages, nécessaires à l’alimentation du bétail, reproduisant un idéal rêvé d’autosubsistance et d’indépendance. La catastrophe que représentent, pour les éleveurs, des champs désespérément secs, poussiéreux, brulés par la chaleur, des troupeaux affamés, sans nourriture naturelle à cette époque de l’année, et des réserves épuisées, ébranle ainsi des sociétés modernes jusque-là rassurées par la permanence d’une telle activité aussi nécessaire aux imaginaires collectives qu’aux besoins immédiats. Et ce monde est en passe de disparaître sous l’effet d’un désastre naturel (et écologique) dont il faudra analyser toutes les composantes.

Il est clair que les éleveurs doivent trouver dans la communauté nationale toute la solidarité que devrait nécessairement exprimer l’attachement collectif à ce monde. L’action politique s'impose elle aussi, dans l'urgence. Cela tombe bien. Le ministre de l’Agriculture Bruno Le Maire a publié en octobre dernier, chez Gallimard (dans la collection blanche s’il-vous-plaît), un ouvrage fort bien fait, une méditation sur la politique qui porte un titre dont l’urgence aujourd’hui saute aux yeux : Sans mémoire, le présent se vide (185 p., 16,90 €).

Le maître mot du livre est le courage, legs ultime du père mourant de l’auteur, condition de la vie politique, fondement des trois vertus autour desquelles se déploie la réflexion (la mémoire, la patience, l’autorité). « Un ministère demande du courage », écrit Bruno Lemaire. Justement, face à cette catastrophe annoncée de l’élevage français, l'action au sens fort du ministre est requise. Son courage est convoqué. Relevé, un tel défi montrerait que des idées sont suivies d’actes à la mesure des ambitions intellectuelles affichées. Négligé, il démontrerait qu’un livre ne sert qu’à briller dans les salons et qu’à noircir du papier, et que les idées se réduisent à n’être que l’opium des élites et du peuple.

Parce qu’il a mis la barre très haut (et il a raison), le ministre de l’Agriculture est condamné à réussir. Tâche exaltante, écrasante. Sinon, les éleveurs risquent bien de lui renvoyer son livre, comme naguère des professeurs avec la « lettre à tous ceux qui aiment l’école » d’un ministre (philosophe) de l’Education nationale….

Le ministre saura-t-il être au rendez-vous de l'histoire ?

Vincent Duclert

 

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