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22 juin 2010 |

Michael Connelly

Blog connel
C’était un soir d’août 2002, huit ans déjà, la voiture roulait en direction de l’ouest, vers la Bretagne, dans mes bagages le manuscrit du Dictionnaire critique de la République qui allait être publié deux mois plus tard. Un moment suspendu dans le temps du voyage. Le soleil se couchait sur l’horizon, au loin l’océan revêtait des lumières bleutées. Assis sur le siège passager, je ne quittais pas ma lecture de L’envol des anges, le premier polar que je lisais de l’américain Michael Connelly dans l’exceptionnelle traduction de Robert Pépin, et sous sa version poche (461 p., 7,80 €. Paru en avril 2002). Le livre me plongeait dans un véritable corps à corps avec des scènes de mort les plus horribles qui soient, et qu’affrontait l’enquêteur du LAPD * Harry Bosch. C’était une révélation. Le récit d’une enquête sans équivalent, où l’entendement humain s’approche de ses limites, où l’incompréhension est absolue, où les ténèbres se resserrent toujours plus noirs autour de la vérité, où la violence domine jusqu’au point elle cède sous la détermination du policier solitaire, rebelle et tenace. Dit ainsi, cela peut ressembler à une succession de clichés. Mais la lecture de L’Envol des anges, suivie du Dernier coyotte et autre Blonde en béton, m’avait convaincu que nous tenions là un grand auteur, autant policier qu’il était littéraire. La série des Harry Bosch s’enchaîna, j’en lisais plusieurs en cette fin d’été, tard dans la nuit quand s’achevait enfin le travail du Dictionnaire.

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Il eut après la découverte du Poète, un enquête elle aussi vertigineuse d’un journaliste un peu obscur de Denver, travaillant au Rocky Mountain, qui finit par résoudre l’énigme des suicides à répétition de policiers sur tout le territoire américain. L’aide du FBI allait se révéler ici déterminante parce qu’au sein de l’agence peuplée de coups tordus agissait l’enquêtrice spéciale Rachel Walling. Le couple improbable qu’elle forma avec McEvoy sut détourner les moyens du FBI pour résoudre une enquête qui plongeait elle aussi dans les ténèbres de l’âme des serial killers. C’est ça Connelly, des meurtres qui défient la compréhension humaine, qui révèlent la duplicité des services, la corruption des valeurs, et, tout au fond du voyage au bout de la nuit, le sursaut de la raison de l’enquêteur, conscient de l’économie nécessaire des moyens, et accroché à quelques principes qui dessinent une idéale constitution de la démocratie américaine. Chaque année depuis, Connelly, qui a fini par migrer de Los Angeles, où il travaillait pour le Los Angeles Time **, pour Tampa en Floride, publiait son polar aussitôt traduit en France par Pépin et mis en vente par Le Seuil. Son héros principal, Bosch, eut progressivement de sérieux problèmes, notamment au LAPD d’où il fut viré et où il revint, et Connelly un peu aussi, semble-t-il, puisque ses livres perdirent de leur souffle. Il cisela encore bien quelques bons récits, qui traitaient de différentes thématiques de société, les biotechnologies avec Darling Lily, la moralité des avocats avec La Défense Lincoln, et surtout Lumière morte où Bosch se révèle telle qu’en lui-même l’éternité le change, bataillant avec les officines secrètes nées sous l’empire du Patriot Act et de la grave réduction des libertés individuelles après le 11 septembre, montrant que rien ne vaut la fidélité aux administrations régulières de la démocratie.

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Mais, reconnaissons-le, depuis quatre ou cinq ans, ce n’était plus comme avant. On passait de bons moments avec les polars de Connelly ; ce n’était pourtant plus ces expériences limites de lecture passionnée où l’on était emportés dans des enquêtes qui bouleversaient le monde et notre propre vision du monde.

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Dans cet entre-deux, la parution de L’Epouvantail le mois dernier, toujours aux éditions du Seuil (502 p. 21,80 €), est plutôt une bonne nouvelle. Connelly a réveillé pour l’occasion le journaliste du Rocky Mountain, Jack McEvoy, devenu un reporter vedette du L.A. Time mais brutalement viré du journal pour cause de crise sévère des quotidiens. Le polar propose en filigrane toute une réflexion sur la mort à long terme des journaux papier confrontés aux transformations des pratiques d’information avec le Net et sa gratuité. Comme McEvoy touche un gros salaire et qu’il n’est plus assez flexible pour écrire simultanément dans l’édition papier et des les éditions en temps réel du site, le L.A. Time a décidé de s’en séparer et de le remplacer par une jeune blonde fraichement diplômée d’une école de haut niveau, une « mojo » dans le jargon de la presse, ces nouveaux journalistes polyvalents qui doivent enterrer les reporters à la McEvoy travaillant à l’ancienne ***. Suprême humiliation, ce dernier doit faire équipe avec elle et la former durant ses quinze jours de préavis. Sauf qu’une vérification après l’appel de la mère d’un condamné pour meurtre lui fait comprendre que derrière un assassinat particulièrement sanglant (une femme torturée au plus haut point) se cachent des meurtres en série commis par un criminel aussi sadique qu’intelligent, spécialiste de la protection des données électronique et expert du monde virtuel. S’engage alors une lutte à mort contre l’ « épouvantail » où McEvoy reconstitue (avec Rachel) l’équipe gagnante du Poète, Mais la jeune mojo sera victime à son tour du prédateur, une image que McEvoy ne pourra plus jamais effacer de sa mémoire, « l’image d’Angela Cook glissant aux ténèbres les yeux grands ouverts sur sa peur ». Pour lutter contre ces images et ce qu’elles signifient, Connelly ne cesse d’écrire.

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Son prochain livre verra cette fois le retour d’Harry Bosch. Il est déjà sorti aux Etats-Unis. On aimerait dire, pour ce dernier Connelly publié par Le Seuil ****, comme l’état-major de l’Amirauté britannique au retour de Winston Churchill au ministère de la Marine, le 3 septembre 1939 : « Bosch is back ». Parce que qu’à l’instant où Connelly ramène Harry à la vie, tout peut arriver, et surtout le meilleur. 30 *****

Vincent Duclert



* Los Angeles Police Department

** Il fut même titulaire du Pulitzer Price pour sa couverture des émeutes de Los Angeles en 1992.

*** « Une mojo, à savoir une journaliste qui savait envoyer par n’importe quel moyen électronique ses articles écrits sur le terrain. Elle était capable d’envoyer du texte et des photos pour le site Web ou l’édition papier, de la vidéo ou de l’audio pour la télévision et les partenaires radio du journal. » Le narrateur, Jack, ajoute : « Elle était formée pour tout cela mais, en pratique, elle n’en restait pas moins aussi novice qu’on peut l’être ». (pp. 28-29)

**** Eh oui, encore un séisme éditorial ! Robert Pépin a quitté le Seuil il y a un an, appelé à créer sa collection noire chez Calmann-Lévy et surtout à emporter dans ses malles (enfin, c’est plutôt le style à voyager léger !) Michael Connelly – lequel, pas fou, ne veut pas quitter son traducteur fétiche en France. Mais Hachette, qui publie le romancier aux Etats-Unis sous les couleurs de Little, Brown and Compagny, commençait probablement à trouver saumâtre que les traductions françaises de son auteur à royalties soient publiées par la concurrence. Tandis qu’avec Calmann, tout va bien, la maison appartient au groupe Hachette. Enfin, c’est ce qu’on peut imaginer !

***** Si vous êtes allés à la fin de cet article (bravo !), vous vous demandez ce que vient faire là le chiffre trente, qui donne son titre du reste à l’article si vous ne l’avez pas remarqué. Code 30, « c’est un vieux truc, explique Jack à Angela pour qui il est clair qu’il éprouve quelque chose même si elle lui pique son boulot. Quand je suis entré dans le journalisme, c’était ce qu’on tapait au bout de ses articles. C’est un code…. Je crois même que ça remonte à l’époque du télégraphe. Ca veut tout simplement dire fin de l’article ». (p. 81).

Photographie de Michael Connelly : site laurieroberts.net

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