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09 avril 2010 |

Du collège de France à l’indignité nationale

Blog compagnon
Les ouvrages d’Antoine Compagnon, professeur au Collège de France et à l’université de Columbia, sont toujours attendus parce qu’ils représentent un moment de la recherche dans un domaine, la littérature, où l’on n’imagine pas toujours l’importance des apports scientifiques. Avec Connaissez-vous Brunetière ? , il avait démontré comment le mariage de l’érudition, d’une compréhension de l’œuvre et de l’auteur, et d’une approche méthodique des enjeux collectifs et politiques auxquels sont soumis les intellectuels produisait des livres achevés et passionnants. Comment, par la recherche et son écriture, Compagnon pouvait traverser les légendes et la réputations et atteindre une vérité des existences, pour comprendre l’itinéraire de lettrés, de savants et de professeurs, depuis les rivages du savoir noble jusqu’aux obscurités de la compromission avec l’antidreyfusisme militant, le cas de Brunetière, ou la Collaboration idéologique, le cas de Bernard Faÿ auquel est consacré son dernier ouvrage (Le cas Bernard Faÿ. Du collège de France à l’indignité nationale, Gallimard, coll. « La suite des temps », 2009, 211 p., 21 €) . Professeur un temps à Columbia, professeur au Collège de France, Faÿ est nommé administrateur général de la Bibliothèque nationale le 5 août 1940 en remplacement de Julien Cain que le gouvernement de Vichy venait de relever de ses fonctions, parce que juif (et républicain). Il devint un agent zélé du collaborationnisme et le principal artisan de la politique antimaçonnique de Vichy. Le 19 août 1944, il est arrêté, puis condamné aux travaux forcés à perpétuité et à l’indignité nationale. Il s’évade en 1951, se réfugie en Suisse, est gracié par René Coty, meurt en 1978. Fin de partie pour un intellectuel français. Mais le mystère demeure entier, explique Antoine Compagnon : « Comment un homme aux principes rigides et qui appartenait à l’élite intellectuelle de la nation a-t-il pu basculer si vite dans la basse police, s’affranchir de tout sentiment non seulement d’humanité mais même de distinction, et se mettre à trafiquer avec des officiers nazis subalternes et la canaille antisémite indigène ? » Pour répondre à cette question centrale, l’auteur cherche des réponses dans les ouvrages déjà publiés sur Bernard Faÿ et l’histoire des bibliothèques sous l’Occupation, y revenant souvent comme dans une longue et libre lecture de l’historiographie. Le livre peut paraître au final inachevé, laissant le lecteur sur sa faim. Il n’en a pas moins affronté une interrogation morale sur les limites de l’éthique démocratique venue des savoirs et de leur enseignement.

Blog simonin
Sur la notion d’ « indignité nationale », nous renvoyons à la recherche d’Anne Simonin, chargée de recherche au CNRS, auteur d’une habilitation à diriger des recherches en 2006 publiée sous le titre Le déshonneur dans la République. Une histoire de l’indignité 1791-1958 (Grasset, 2008, 766 p., 26,90 €). Un monument d’érudition et de réflexion.

Vincent Duclert

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