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janvier 2010

29 janvier 2010

Anthropologie du pirate

Blog heller
Traduit avec l’élégance du grand large par Françoise et Paul Chemla, l’étude de Daniel Heller-Roazen, professeur de littérature comparée à Princeton, plonge dans les représentations historiques du pirate. Il montre comment ce dernier est devenu graduellement « l’ennemi commun à tous » puis « l’ennemi de l’humanité », « l’ennemi injuste », celui qui va « de l’autre côté de la ligne ». L'auteur retrace méthodiquement l'élaboration de cette catégorie juridique totale. La constitution du pirate en figure contemporaine désormais cruciale explique l’indignation universelle qui s’empare du monde à chaque irruption des pirates sur les mers civilisées et la forme des guerres qui leur sont livrées : elles ne respectent pas davantage les règles de l’affrontement politique et policier. Le pirate nous apprend donc énormément sur nous-mêmes et le refoulé de l'insoumission absolue. Cette raison explique peut-être pourquoi il continue de fasciner tant (L’ennemi de tous. Le pirate contre les nations, Le Seuil, coll. « La Librairie du XXIe siècle », 323 p., 21 €).

Vincent Duclert

27 janvier 2010

L’internationalisation dans tous ses états

Blog laredo
La référence à l’« international » a fait tache d’huile ces dernières années dans la recherche et l’enseignement supérieur (Etat, institutions, espace public), et participe de sa gouvernementalité de diverses manières (classements internationaux, mobilités internationales, programmes et projets de recherche européens et internationaux, structures éditoriales internationales,…). Loin d’être « naturel » à la science et à l’enseignement supérieur, l’international est le résultat de plusieurs phénomènes ainsi que des discours, des pratiques et des instruments mis en œuvre par les acteurs politiques et scientifiques. C’est là une des idées de départ du livre Recherche et enseignement supérieur face à l’internationalisation – France, Suisse, Union européenne (2009, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2009, 397 p. 38 € [sous la direction de Jean-Philippe Leresche, Philippe Larédo et Karl Weber]) qui scrute le processus d’internationalisation dans ses dynamiques cognitives, économiques, politiques, sociales et culturelles.

Derrière la cohérence synthétique du propos introductif, le livre donne à lire une mosaïque de 18 contributions très variées en points de vue et en objets mais qui partagent la même attention pour l’analyse empirique autour des exemples de l’Union européenne, de la Suisse et de la France. On a trouvé personnellement très intéressante l’analyse critique de la politique de la recherche de l’UE que Philippe Larédo connaît sur le bout des doigts. Celui-ci observe et conclut de manière plus normative que la diversité des arrangements organisationnels selon les domaines de recherche  implique  et doit inviter à l’avenir l’UE à diversifier les règles et les procédures d’une politique de recherche à l’homogénéité contre-productive. « Rien ne serait plus contre-productif, écrit-t-il, qu’un huitième programme-cadre […] conduit dans les mêmes cadres organisationnels ! » (p. 47) Concernant encore la politique européenne de l’éducation, Eva Hartmann en retrace l’évolution historique pour montrer comment le principe de subsidiarité contribue à la mise en place d’une « hégémonie transnationale » ou d’un « espace public transnational formalisé ». Le principe de subsidiarité permet de « relier une politique publique européenne à un espace public national » dans une logique de délibération et d’acceptation sociale large plutôt que dans la logique étroite d’un formalisme juridique international et européen tout puissant. (p. 61).

Les exemples de la Suisse et de la France sont traités dans l’ouvrage en eux-mêmes plutôt que de manière comparative. Cela permet déjà de voir la diversité des usages nationaux de la référence à l’international, « ressource cognitive et symbolique », et d’éviter l’amalgame souvent fait entre internationalisation et homogénéisation. Comme le soulignent Catherine Paradeise et Gaële Goastellec à propos de l’internationalisation des systèmes d’enseignement supérieur : « Si l’internationalisation des systèmes d’enseignement supérieur est désormais avérée, les processus de convergence qu’elle comporte – que l’on peut définir comme l’adoption de valeurs et de normes semblables – ne conduit pourtant pas à leur homogénéisation » (p. 211) mais donne lieu à des innovations institutionnelles locales spécifiques. Autre idée reçue battue en brèche par Michel Grossetti, Philippe Losego et Béatrice Milard : les grands centres sont les moteurs de la compétitivité internationale. Leur étude de la répartition spatiale des activités scientifiques montre au contraire une déconcentration des activités scientifiques depuis la fin des années 1990, un déclin de la puissance des régions capitales et un fort dynamisme des petits sites récents. L’internationalisation est abordée encore par le biais des instruments : outils informationnels ouverts, classements, financements, régimes de propriété,… L’internationalisation dans de multiples états, en somme.

Julie Bouchard, Université Paris 13 - LabSic

25 janvier 2010

Hélas

Blog hélas
Etrange et splendide album que nous proposent le dessinateur Rudy Spiessert et le scénariste Hervé Bourhis, comme une plongée dans le racialisme européen du début du XXe siècle et une capitale submergée par la fameuse crue centenaire (Dupuis, coll. « L’aire Libre », 72 p., 15,50 €). Hélas commence sur une pleine page d’ombres chinoises. Deux enfants effrayés courent dans une nuit claire au milieu des arbres. Des coups de feu retentissent. Un chasseur est projeté au sol par les enfants. On tourne les pages, impatients de comprendre. L’album décrit l’ordre d’une société des animaux qui a réduit les hommes en esclavage au point d’exterminer presque en totalité l’espèce humaine. Les rares survivants peuplent les zoos ou sont victimes de braconniers qui les revendent à des amateurs de curiosité ou de jouets exotiques. Les humains ont été considérés par les animaux comme des êtres arriérés, dépourvus d’entendement comme de sentiment. Mais la jeune Feuille, capturée dans la forêt après l’assassinat de ses parents, exhibée devant un grand amphithéâtre de l’université, révèle qu’elle est douée de langage en prononçant ce mot d’ « hélas » qui perturbe toute l’assistance. Feuille est arrachée aux savants et enfermée dans une chambre que veillent des agents de police. Elle parvient à s’enfuir, contemple le ciel gris, se souvient du bonheur de l’enfance quand sa mère la coiffait. Mais ses parents ont été massacrés, elle est seule sous la pluie. Le dessin, qui oscille entre le trait de Gauguin et les dessins indiens, restitue la profondeur du drame. Mais le journaliste Fulgence et son amie Léopoldine décident de voler au secours de l’ « humaine captive ». Dans un Paris recouvert par les eaux, traversant les temps et retrouvant la vérité, les trois héros vont de découvertes en surprises jusqu’à la scène finale de la confrontation des humains avec la folie des animaux. L’intrigue, on l’a compris, fonctionne sur un système d’inversion des situations et de puissante satire de la folie de l’humanité, persuadée avec le positivisme triomphant qu’il existait des races inférieures, noires, juives, contre lesquelles toute persécution devenait légitime, relevait d’un acte de savoir… L’album plonge dans les ténèbres de la démence rationnelle et de la haine pour l’autre, au plus profond des caves d’une ville engloutie. Les dernières planches respirent heureusement la quiétude de la paix retrouvée et de Feuille sauvée, telle qu’en elle-même la liberté la change.

Vincent Duclert

21 janvier 2010

De l’affaire Sokal à la trivialité

Blog bouchard 2
Autour de « l’affaire Sokal » déclenchée en 1996, les amis de La Recherche ont pu apprécier une partie des travaux d’Yves Jeanneret avec L’Affaire Sokal ou la querelle des impostures (Puf, 1998, 274 p.). Dans la profusion de réactions, le professeur en Sciences de l’information et de la communication à l’Université d’Avignon a la particularité de traiter la querelle en dépassant le seul décryptage du cas pour interroger à travers lui et plus fondamentalement la « trivialité des savoirs ». Non pas assimilée à la « banalité », à la « popularité » ou à la « vulgarité », la trivialité constitue le cœur de l’affaire où se jouent, de manière plus neutre, la création, la circulation et la transformation des idées. 10 ans après L’Affaire Sokal, Yves Jeanneret consacre à la trivialité le premier livre d’une série annoncée avec Penser la trivialité – volume 1 – la vie triviale des êtres culturels (Hermès-Lavoisier, 2008, 267 p., 39 €).

La densité d’analyse et de concepts de Penser la trivialité, où l’on partage le souci et le plaisir de l’auteur à citer les recherches conduites par les jeunes chercheuses et chercheurs, s’arrime à un projet intellectuel ambitieux et intéressant à plusieurs égards. D’abord, si l’ouvrage est fortement imprégné par les Sciences de l’information et de la communication et par leur « réécriture », celui-ci éclate les carcans disciplinaires non seulement par le biais de références à d’autres disciplines (les références à l’histoire culturelle, notamment, sont nombreuses) mais surtout par la projection des outils conceptuels et méthodologiques dans l’univers plus large des « sciences anthroposociales ». Ce qui est projeté là, ensuite, ce sont les problèmes, les concepts et les méthodes liés à l’étude précise de la circulation et de la transformation des « êtres culturels » dans la société, phénomènes généralement négligés et simplifiés et qu’Yves Jeanneret étudie au contraire avec le sérieux et la complexité qu’ils méritent en exposant « les ressources qu’offre 
une problématique de la trivialité pour relire beaucoup de questions « classiques » des sciences sociales » (pp. 229-230). Enfin, Penser la trivialité,  c’est revenir avec son auteur sur ce qui fait tenir ensemble et sur ce qui distingue les processus d’échange, les constructions d’objets, les gestes d’évaluation et les imaginaires de la pratique culturelle… avant de plonger dans l’économie des pouvoirs et des valeurs fondées sur la trivialité dans un deuxième volume annoncé… et attendu.

Julie Bouchard (CNRS)

20 janvier 2010

La pensée de midi

Blog midi ist
La revue La pensée de midi mérite toute notre attention. Créée en 2000 par l’écrivain de polar (aujourd’hui décédé) Jean-Claude Izzo, par l’éditeur Hubert Nyssen, par Thierry Fabre, elle est animée par ce dernier, aujourd’hui coordinateur scientifique du réseau d’excellence des centres de recherche en sciences humaines sur la Méditerranée Ramses² à la Maison méditerranéenne des Sciences de l’homme d’Aix-en-Provence et concepteur des rencontres d’Averroès. Son comité de rédaction réunit plusieurs écrivains et poètes comme Bernard Millet et Renaud Ego. Editée par Actes Sud qui en fait sa publication périodique phare, elle publie de remarquables numéros traversés d’une authentique pensée des lieux, du savoir et de la Méditerranée. Elle a déjà à son actif des portraits de ville, Alger, Palerme, Athènes, Beyrouth XXIe siècle, Tanger, et aujourd’hui Istanbul à l’occasion de l’année 2010 où l’ancienne capitale devient, à juste raison, capitale culturelle européenne (233 p., 17 €).

Blog midi dink
Ce sont de véritables livres collectifs qui sont réalisés ici, et que porte une collection à part entière chez Actes Sud, « Bleu », également dirigé par Thierry Fabre, avec deux séries, « Essais, sciences humaines et politique » et « Romans, récits, nouvelles ». Au sein de la première, l’essai d’Emmanuel Terray et de Christian Bomberger (également membre du comité de rédaction), Face aux abus de mémoire (2006), le portrait de ce dernier et Tzetan Todorov sur Germaine Tillion, Une anthropologue dans le siècle (2002) … et aussi en Méditerranée, et l’un des derniers ouvrages de notre regretté collègue, l’historien des migrations et de Marseille Emile Temime, Une rêve méditerranéen, des Saint-Simoniens aux intellectuels des années trente (2002). Elle vient de mettre à son catalogue des textes du journaliste assassiné (le 19 janvier 2007) turc de confession arménienne Hrant Dink, istanbullu jusqu’au bout, qui avait donné ses plus belles couleurs esthétiques et politiques à Istanbul, Deux peuples proches, deux voisins, Arménie-Turquie (essai traduit du turc par Emre Ülker et Dominique Eddé, 204 p., 19 €). Le livre est préfacé par le journaliste et écrivain Jean Kéhayan qui lui-même a publié dans le proche passé un recueil d’écrits très réussi sur sa mémoire turque et le devoir de paix, et ouvert par Etyen Mahçupyan, un ami de Hrant Dink à la revue Agos que le journaliste et écrivain dirigeait à Istanbul. On le voit, la « pensée de midi » (une expression d’Albert Camus) présente une large extension de la notion des Suds, du littéraire au politique, du lointain Orient à la proche Europe (ou le contraire, grâce à cette « pensée de midi »).

Blog midi etienne
On évoquera aussi le hors série consacré à la mémoire de Bruno Etienne, l’un des premiers membres fondateurs de la revue « avec d’autres grands absents, comme Jean-Claude Izzo et Emile Temine. D’emblée, l’idée de créer à partir de Marseille, une revue littéraire et de débats d’idées lui a semblé une exigence et une nécessité », écrit Thierry Fabre. Bruno Etienne, politiste, professeur à l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence, était une grande figure des Suds et de la recherche sur les religions et la laïcité. Ce numéro qui rassemble ses textes publiés dans la revue est précieux, et à son image, très bien édité, lumineux (2009, 194 p., 12 €)*. A quand un numéro sur Emile Temime, sur Jean-Claude Izzo ? Mais chaque numéro n'est -il pas un hommage à ces inspirateurs magnifiques de la pensée de midi.

On ne peut donc que saluer cette entreprise intellectuelle et sensible qui est une grande réussite. Elle dispose d'un site élégant (http://www.lapenseedemidi.org/) et ... d'un blog des rédacteurs (http://lapenseedemidi.over-blog.com/pages/Les_Redacteurs-432224.html).  

Vincent Duclert

*Le sommaire du numéro Bruno Etienne est finement élaboré : « Provence et Méditerranée, Le savant et le politique, France-Algérie, questions de mémoire, Islam (s) ».

18 janvier 2010

Histoire des sciences à l’époque moderne

Blog mazau
Philosophe et historienne, Simone Mazauric est chercheuse aux Archives Henri Poincaré et professeure à l’université de Nancy 2. Elle est l’auteur d’une importante biographie qui a problématisé le savoir biographique en montrant, après d’autres, qu’il pouvait être un vecteur du renouvellement des connaissances : Fontenelle et l’invention de l’histoire des sciences à l’aube des Lumières (Fayard, coll. « Histoire de la pensée », 2007, 390 p., 24 €)*. Elle publie aujourd’hui une synthèse de ses travaux et de son enseignement, une Histoire des sciences à l’époque moderne (Armand Colin, coll. « U », 320 p., 29 €). Ce livre dense, bien organisé, pédagogique autant qu’érudit, pensant la « révolution scientifique » des Lumières du point de vue de ses acteurs comme de ses savoirs, témoigne du renouvellement dans la continuité des publications de l'éditeur universitaire Armand Colin.

Vincent Duclert

*Nous en avions rendu compte dans les pages de ce Blog, par un billet de Frédérique Rémy (CNRS) en date du 12 mars 2009 (utilisez la fonction "recherche" pour y accéder).

13 janvier 2010

HP

Blog mandel
Il existe de nombreux témoignages sur la vie en hôpital psychiatrique. Malades, infirmiers, psychiatres ont tour à tour raconté leur vision de cet univers fermé, le plus souvent ignoré par ceux qui ne sont pas directement concernés par son existence. La bédéaste Lisa Mandel a sorti à la fin de l'année dernière un petit album dans lequel elle rapporte des récits collectés dans sa propre famille (HP, tome 1, L'asile d'aliénés, éditions de l'Association, coll. "Espôlette", 84 p., 14 €). Sa mère et son beau père ont été infirmiers en psychiatrie pendant trente-cinq ans, et ces anecdotes ont imprégné ses souvenirs et nourri son imaginaire au point qu’elle a décidé de les rassembler pour en faire un livre. A travers la voix de sa mère, de son beau-père ou de leurs amis, c’est toute une face du monde psychiatrique qui se dévoile. Les médecins, curieusement absents, ont délégué aux infirmiers la gestion quotidienne des malades. Peu de moyens, des techniques de soin balbutiantes ou cruelles, la saleté, la violence, l’ostracisme : Lisa Mandel écoute tout cela et le retranscrit dans ses récits simples et percutants, qui suivent le rythme des jours. Elle raconte cette période de transition entre les années soixante et soixante-dix, avant l’arrivée de l’antipsychiatrie, quand l’hôpital psychiatrique est encore l’asile d’aliénés. L’arrivée au sein des hôpitaux du grand silence inquiétant des neuroleptiques. Les électrochocs, l’insulinothérapie. Le pouvoir sans limite des infirmiers, à qui est dévolue la bonne marche de l’asile. Les excès sont légions, mais aussi les actes de tendresse qui tendent de pallier tout ce que le lieu a d’inhumain. L’album s’achève à l’orée des années soixante-dix. La mère, le beau-père et leurs amis ont fini leur étude et obtenu leur diplôme. Ils cherchent à travailler dans les hôpitaux d’avant-garde dont on entend parler ici ou là. C’est, dit-on, le début d’une nouvelle ère… Vivement la suite.

Anouck Cape

11 janvier 2010

Savoirs contre pauvreté

Blog duflo I
Agée de trente-huit ans, Esther Duflo est économiste au MIT où elle enseigne sur une chaire consacrée à la réduction de la pauvreté et à l’économie du développement. Depuis 2009, elle est aussi la première titulaire de la chaire internationale « Savoirs contre pauvreté » du Collège de France, créée en partenariat avec l’Agence française de développement. La collection « La République des idées » que dirigent Pierre Rosanvallon, professeur d’histoire du politique au Collège de France et Ivan Jablonka, maître de conférences en histoire détaché sur la chaire de ce dernier, vient de publier quatre des conférences données par Esther Duflo il y a un an dans le cadre de cette chaire « Savoirs contre pauvreté », sous le titre Le développement humain. Lutter contre la pauvreté (I) et La politique de l’autonomie. Lutter contre la pauvreté (II). Chaque volume, édité au Seuil, comprend 106 pages au prix de 11,50 euros. L'ensemble présente tout à la fois des analyses de résultats d'expériences menées sur le terrain et un questionnement général sur les fins et les moyens.

Blog duflo 2
Il s’agit, d’après la quatrième de couverture du tome II, de la première synthèse des travaux d'Esther Duflo. L’idée centrale des savoirs luttant contre la pauvreté se décline à différents niveaux, celui de la connaissance scientifique et académique nouvelle produite par les chercheurs comme Esther Duflo, celui de la compréhension des « comportements et des motivations des acteurs, qu’il s’agisse des parents, des enfants, des enseignants ou du personnel médical » comme dans le cas des programmes éducation et médecine, celui enfin de l’efficacité pratique et politique du principe heuristique. Car les savoirs ne s’imposent pas d’eux-mêmes, ils ne sont pas admis naturellement par les sociétés et les Etats, ils représentent même des dangers pour les logiques de pouvoir et les systèmes de domination. Et ils sont combattus pour cette raison. L’expression de la confiance légitime accordée aux savoirs, notamment dans la lutte contre la pauvreté, doit donc s’accompagner d’un engagement pour une politique des savoirs permettant à ces derniers d’être reconnus et puissants.

Vincent Duclert

06 janvier 2010

Le SenS de la vie

Blog acot 2
Claude Bénichou, enseignant-chercheur en psychologie et historien des sciences, est aussi éditeur. Il dirige, dans des conditions matérielles qui ne sont pas des plus faciles, « Sens Editions », anciennement « ScienceS en Situation », dont l'épine dorsale est la collection « Le SenS de la vie ». Il s'agit d'une Association Loi 1901, c'est dire que le lucre n'est pas la préoccupation première des associés. On se souvient, parmi bien d'autres ouvrages publiés chez cet éditeur, d'une Ethique environnementale (2000), d'une belle réédition de De la fécondation des orchidées (Charles Darwin, fac-simile de la première édition française de 1870 publiée en 1999), ainsi que de la passionnante et inénarrable Etude sur la vieillesse et le rajeunissement par la greffe de Serge Voronoff (1866-1951), chigurgien endocrinothérapeuthe – qui, entre 1920 et 1930, greffa des lamelles de testicules de singes dans la tunique vaginale de testicules d'hommes en quête d'une seconde jeunesse... Remarquable et opportune publication car l'histoire des sciences, c'est aussi l'histoire des échecs, aberrations et erreurs scientifiques, Georges Canguilhem (1904-1995) le rappela en son temps.

Cette fois, c'est un livre majeur du géologue Charles Lyell ( 1797-1875) qui vient enrichir le catalogue de SenS Editions : L'Ancienneté de l'homme, prouvée par la géologie, et remarques sur les théories relatives à l'origine des espèces par variation (2009, fac-simile de la première édition française de 1864 [première édition anglaise 1863], 557 pp, 59 €). Le texte est introduit par Marie-Françoise Aufrère, historienne de la géologie, et Gabriel Gohau, président du Comité français d'histoire de la géologie et dont on sait la renommée internationale depuis la publication de son indispensable Histoire de la Géologie (1987). Les grandes controverses de l'époque, qui ont marqué la pensée de Lyell, sont présentées et offrent au lecteur une grille de lecture très utile. C'est ainsi de « l'uniformitarisme » et du « catastrophisme, par exemple. «  L'uniformitarisme » du fondateur de la géologie moderne postule que les très lents processus actuellement à l'oeuvre en géologie sont les mêmes qui furent à l'oeuvre dans le passé lointain. Ce qui destituera à terme le « catastrophisme » alors en harmonie avec le texte biblique et dont Georges Cuvier (1739-1832) fut l'un des représentants les plus éminents : ce dernier soutenait que la Terre a été formée en un assez court laps de temps par catastrophes successives - l'Homme étant d'apparition récente puisque postérieur à la dernière catastrophe. Ce conduisit Cuvier à affirmer en 1832 encore qu'il « n'y a pas d'os humains fossiles », les calottes crâniennes de Canstadt et d'Engis que l'on reconnaîtra bientôt comme « néanderthaliennes » étant alors jugées pathologiques.

La reproduction de l'ouvrage original est excellente, y compris les figures. SenS est un petit éditeur d'histoire des sciences, dans la grande tradition...

Pascal Acot, IHPST


04 janvier 2010

Nouvelle jeunesse

Blog gruel
Le Blog des Livres présente ses meilleurs vœux à ses lecteurs, et particulièrement aux étudiants qui sont l’avenir de la recherche, aussi bien du point de vue de sa réalisation empirique que de sa réflexion critique. Pour connaître ces derniers, l’ouvrage Les étudiants en France. Histoire et sociologie d’une nouvelle jeunesse (Presses universitaires de Rennes, coll. « le sens social », 2009, 20 €), se révèle un précieux outil. Issu des travaux de l’Observatoire national de la vie étudiante, il a été codirigé par Louis Gruel, hélas décédé il y a huit jours dans sa Bretagne natale. Ce 433e billet du Blog et premier de l'année 2010 lui est donc dédié, lui qui était aussi un blogueur impénitent et exigeant (sous le nom d'Humaro).

Vincent Duclert