La revue La pensée de midi mérite toute notre attention. Créée en 2000 par l’écrivain de polar (aujourd’hui décédé) Jean-Claude Izzo, par l’éditeur Hubert Nyssen, par Thierry Fabre, elle est animée par ce dernier, aujourd’hui coordinateur scientifique du réseau d’excellence des centres de recherche en sciences humaines sur la Méditerranée Ramses² à la Maison méditerranéenne des Sciences de l’homme d’Aix-en-Provence et concepteur des rencontres d’Averroès. Son comité de rédaction réunit plusieurs écrivains et poètes comme Bernard Millet et Renaud Ego. Editée par Actes Sud qui en fait sa publication périodique phare, elle publie de remarquables numéros traversés d’une authentique pensée des lieux, du savoir et de la Méditerranée. Elle a déjà à son actif des portraits de ville, Alger, Palerme, Athènes, Beyrouth XXIe siècle, Tanger, et aujourd’hui Istanbul à l’occasion de l’année 2010 où l’ancienne capitale devient, à juste raison, capitale culturelle européenne (233 p., 17 €).
Ce sont de véritables livres collectifs qui sont réalisés ici, et que porte une collection à part entière chez Actes Sud, « Bleu », également dirigé par Thierry Fabre, avec deux séries, « Essais, sciences humaines et politique » et « Romans, récits, nouvelles ». Au sein de la première, l’essai d’Emmanuel Terray et de Christian Bomberger (également membre du comité de rédaction), Face aux abus de mémoire (2006), le portrait de ce dernier et Tzetan Todorov sur Germaine Tillion, Une anthropologue dans le siècle (2002) … et aussi en Méditerranée, et l’un des derniers ouvrages de notre regretté collègue, l’historien des migrations et de Marseille Emile Temime, Une rêve méditerranéen, des Saint-Simoniens aux intellectuels des années trente (2002). Elle vient de mettre à son catalogue des textes du journaliste assassiné (le 19 janvier 2007) turc de confession arménienne Hrant Dink, istanbullu jusqu’au bout, qui avait donné ses plus belles couleurs esthétiques et politiques à Istanbul, Deux peuples proches, deux voisins, Arménie-Turquie (essai traduit du turc par Emre Ülker et Dominique Eddé, 204 p., 19 €). Le livre est préfacé par le journaliste et écrivain Jean Kéhayan qui lui-même a publié dans le proche passé un recueil d’écrits très réussi sur sa mémoire turque et le devoir de paix, et ouvert par Etyen Mahçupyan, un ami de Hrant Dink à la revue Agos que le journaliste et écrivain dirigeait à Istanbul. On le voit, la « pensée de midi » (une expression d’Albert Camus) présente une large extension de la notion des Suds, du littéraire au politique, du lointain Orient à la proche Europe (ou le contraire, grâce à cette « pensée de midi »).
On évoquera aussi le hors série consacré à la mémoire de Bruno Etienne, l’un des premiers membres fondateurs de la revue « avec d’autres grands absents, comme Jean-Claude Izzo et Emile Temine. D’emblée, l’idée de créer à partir de Marseille, une revue littéraire et de débats d’idées lui a semblé une exigence et une nécessité », écrit Thierry Fabre. Bruno Etienne, politiste, professeur à l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence, était une grande figure des Suds et de la recherche sur les religions et la laïcité. Ce numéro qui rassemble ses textes publiés dans la revue est précieux, et à son image, très bien édité, lumineux (2009, 194 p., 12 €)*. A quand un numéro sur Emile Temime, sur Jean-Claude Izzo ? Mais chaque numéro n'est -il pas un hommage à ces inspirateurs magnifiques de la pensée de midi.
On ne peut donc que saluer cette entreprise intellectuelle et sensible qui est une grande réussite. Elle dispose d'un site élégant (http://www.lapenseedemidi.org/) et ... d'un blog des rédacteurs (http://lapenseedemidi.over-blog.com/pages/Les_Redacteurs-432224.html).
Vincent Duclert
*Le sommaire du numéro Bruno Etienne est finement élaboré : « Provence et Méditerranée, Le savant et le politique, France-Algérie, questions de mémoire, Islam (s) ».