La pierre Phyllosophale
Go Phyllosian ! Une fusée de vérité, une espérance, est lancée dans le ciel mythologique.
Une même cause permettrait de rendre compte de l’ensemble des observations martiennes : le tarissement des réserves radioactives dans le manteau de Mars y a entraîné le ralentissement de la convection, puis celle du noyau et donc l’arrêt de la dynamo. En l’absence de bouclier magnétique, l’essentiel de l’atmosphère a disparu, comme pulvérisé et soufflé dans l’espace par le vent solaire…avec elle disparaissaient les conditions de stabilité de l’eau liquide à la surface de Mars. C’est la fin du Phyllosien, l’ère d’habitabilité potentielle de la planète. Un changement climatique a été irréversiblement déclenché caractérisé par une transition vers un environnement acide, une atmosphère très ténue, et un climat froid et sec… Car la concentration des gaz à effet de serre bloquant le rayonnement thermique de la planète dépend avant tout de l’activité interne qui contribue au recyclage (dégazage) des constituants piégés dans le sol. L’histoire de l’astre est une longue lutte entre forces internes (principalement radioactives) et externes (bombardement météoritique, rayonnement UV du Soleil , vent de l’étoile). Quand sur Mars le Phylossien s’est éteint, parce que l’eau liquide a cessé d’être stable à la surface, une partie de celle-ci s’est évaporée, et le reste a pénétré dans le sol, pour y geler…Si Mars a connu une époque d’habitabilité c’est au Phyllosien qu’il faut la chercher. L’étape suivante de la recherche martienne consistera à explorer des sites des régions repérées par leurs argiles hydratées. Ensuite, il s’agira d’y recueillir des échantillons et de les ramener sur terre pour les analyser. En indiquant où aller la minéralogie (révélée par le truchement d’un spectro-imageur Infrarouge) a balisé l’essentiel du chemin…Mais la route sera semée d’embûches nécessitant des opérations robotiques spectaculaires.
Jean-Pierre Bibring, planétaire Platon, nous inculque la nouvelle Phyllosophie dans son étude Mars planète bleue ? (Odile Jacob, 222 p., 23,90 €). Nous ne marchons plus en aveugles dans la recherche de la vie ou de ses vestiges. Convoquant toute la planétologie comparative il nous ouvre en grand les archives planétaires. Des indices directs nous guident vers des sites prometteurs pour tester l’habitabilité passée de Mars. La force qui tendait l’arc d’Ares est intacte dans le bras de ce professeur de physique à l’Université de Paris- Orsay. Planétologue de premier rang, coordinateur de programmes spatiaux (Omega, Mars Express), il est le premier non américain à recevoir le prix Fred Whipple de géologie. Médecin/psychanalyste de Mars, au terme d’une longue et patiente cure anti-mythe, il remet l’astre d’aplomb. Mars souffrait de mythologie cutanée aiguë : rougeur sanguinolente, aqueuses balafres, vermine verdâtre. Mars rouge sang dieu de la guerre, Mars à canaux et à petits hommes vindicatifs de couleur herbacée. Guerre des mondes. Une image belliqueuse, furieuse et démente est remplacée par une vision pacifiée, scientifique et rationnelle. Mars est débarbouillé de toute allégorie guerrière…c’est à peine si sur son visage de jeune fille on discerne de légères taches d’argile, taches d’infrarouge rousseur…Voilà la planète guérie, lavée de tout fantasme rouge bleu vert.
Vive l’eau qui nous lave et nous rend beaux !
H2O nous buvons l’univers entier dans une goutte d’eau…H vieux de 13,7 milliards et O exhalé par les grandes étoiles bleues et explosives. Bleue la planète Terre…Bleu Mars ? Bleues les étoiles à Oxygène et bleue l’eau. Sur Mars pas de giboulées. L’observation détrompe, les yeux se décillent: 1. Habituellement, l’eau et le CO2 donnent de l’acide carbonique qui attaque le calcium pour donner du calcaire (carbonate de calcium). La recherche de carbonates est donc une recherche indirecte de l’eau de mer ancienne…Surprise de taille : vaine a été la recherche de carbonates. 2. Les structures d’écoulement ne sont pas là où il faut chercher l’eau ! Les rigoles martiennes sont les lieux où il n’y a plus d’eau stable. Où est l’eau (de vie, liquide) ? L’eau est en calotte, hors des pôles l’eau glacée est en sous sol.Terriblement sœurs: d’un côté le berceau originaire Terre, un bleu océanique et céleste emplumé de nuages, une lune dodue, des réserves énergétiques (uranifères) confortables, capables de maintenir une dynamo magnétique puissante, une tectonique des plaques pérenne, une atmosphère protectrice, …Une vie foisonnante et émouvante. De l’autre un astre nu, à lunes débiles, dont on peut déclarer la mort géologique… Nu le cadavre exposé à toutes les émanations solaires et galactiques, lapidé, attaqué par les photons UV de Phébus, les particules énergétiques du vent solaire et les rayons cosmiques. Sans atmosphère, ou presque, dénué de champ magnétique, ou presque, sans océan… De grands et rares volcans…Les deux sœurs planétaires sont pourtant nées du nuage qui a enfanté le Soleil. L’unité d’origine contraste avec la diversité d’évolution. Il y a là, dirait le physicien, brisure de symétrie. Mars était au Phyllosien comme la Terre au commencement « l’Exploration martienne est au cœur du processus de fond qui prend forme aujourd’hui : lier la compréhension de ce que requiert le passage de l’inerte au vivant à la recherche de vie extraterrestre dans une approche authentiquement scientifique »
Eu égard aux planètes, vous ne trouverez nulle part un livre plus physique, plus chimique, plus minéralogique, plus robotique, plus magnétique, plus hydrodynamique, plus lunaire et plus solaire, que celui de JPB, ni plus humain, ni plus accessible, ni plus vital, ni plus philosophique, ni plus géologique, ni plus technologique. Mars est à tous ! L’épistémologie planétaire s’y affirme avec une telle vigueur qu’il faut la donner à philosopher. Liquéfié, carboné, azoté on ressort de ce livre comme d’un bon bain chimique, et enfin purifié de toute scorie mensongère. D’une planétaire maestria, tout en retenue, le texte est de très haute tenue, par sa précision et son style épuré. Uranie, la vielle muse fait flèche de tous bois. A la fine pointe de l’expressivité scientifique, l’exemplarité de cet ouvrage tient tant à la clarté qu’à la subtilité de l’écriture. Livre de lucidité militante et de pudeur cométaire, délicat et nuancé, il révèle mais ne découpe pas la dentelle martienne au couteau.
Michel Cassé (CEA)
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