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novembre 2009

05 novembre 2009

Neandertal

Blog breuv
Dans la plus pure tradition de « La guerre du feu », Emmanuel Roudier poursuit sa trilogie « Neandertal » avec le deuxième volume Le breuvage de vie (Delcourt, 56 p., 13,95€, 2009). Il a eu l'idée originale de placer l'action à une époque où l'Europe était le domaine exclusif de Neandertal. Le héros, Laghou, ne rencontre donc d'autres hommes que ses congénères. Pas de rencontre interspécifique avec les hommes modernes, donc. Mais, alors qu'il circule de tribu en tribu, Laghou découvre que celles-ci sont, en quelque sorte, spécialisées : dans l'une, on sait tailler le « cristal de chasse », but premier de sa quête ; une autre détient les secrets d'une panacée, le « breuvage de vie », qui donne son titre à ce tome 2 ; une autre encore est formée d'hommes roux et à la musculature très développée. Avec tous ceux là, il fera alliance. Avec la tribu cannibale, en revanche, l'entente est plus difficile. Comme avec ses propres frères d'ailleurs, comme nous le montrait déjà le tome 1.

De l'aventure de bonne facture, donc, qui met en scène des Neandertal tels que les voient aujourd'hui nombre de spécialistes : des capacités cognitives et physiques identiques aux nôtres, des traditions culturelles, un langage. Sans être trop didactique, l'auteur reconstitue quelques scènes avec un grand souci de précision. Taille du silex, fabrication des armes, techniques de chasse, abris de campagne : tout est puisé aux meilleures sources archéologiques. Un anachronisme quand même : Neandertal a effectivement fabriqué des parures avec des dents d'animaux percées, mais seulement beaucoup plus tard. Les colliers offerts en cadeau page 10 ne sont pas vraisemblables. A l'époque où se situe l'action, son usage du symbolisme se résumait, pense-t-on, à des peintures corporelles (on a retrouvé les blocs de colorants utilisés) même si on ne peut exclure d'autres production périssables : les plumes fixées dans les cheveux de l'héroïne, et qui lui donnent un air d'indienne de western, sont de l'ordre du possible.

On attend avec impatience le troisième et dernier tome de cette aventure. Et on espère que la veine préhistorique de l'auteur ne s'arrêtera pas là.

Luc Allemand

03 novembre 2009

Une riche synthèse sur l’histoire du CNRS

Blog denis
La célébration des soixante-dix ans du CNRS offre au lecteur une belle synthèse écrite par un historien, attaché scientifique au Comité pour l’histoire du CNRS, dont le livre condense les travaux du Comité pour l’histoire du CNRS– les notes citent en particulier beaucoup d’articles des Cahiers pour l’histoire du CNRS et de La Revue pour l’histoire du CNRS ou des documents issus des trois précieux volumes de l’Histoire documentaire du CNRS. Dans un style très alerte, avec de nombreuses citations de documents ou d’entretiens, Denis Guthleben propose un récit chronologique très informé qui est dans la continuité du renouvellement récent de l’histoire des politiques scientifiques – entre autres les livres de Jean-François Picard, Michel Pinault, Dominique Pestre, Diane Dosso ou Vincent Duclert. Il est juste dommage que les analyses de Paul-André Rosental sur la naissance de l’INED ou celles d’Amy Dahan Dalmedico sur l’INRIA n’aient pas été intégrées dans le raisonnement ce qui aurait aidé à mieux inscrire le CNRS dans le complexe paysage français des institutions scientifiques (Histoire du CNRS de 1939 à nos jours. Une ambition nationale pour la science, Paris, Armand Colin, 2009, Préface d’André Kaspi, 431 p., 38 €).

L’objet n’est pas si simple pour l’historien entre histoire des sciences, histoire des politiques publiques et histoire interne d’une institution. Les grandes étapes de l’histoire de l’organisme sont bien décrites : la création, les années d’Occupation, la renaissance à la Libération, les conséquences des initiatives gaullistes avec entre autres la création de la DGRST, les mutations des années soixante-dix et quatre-vingt. Enfin, un épilogue insiste sur un « paysage en évolution constante » et signale le retour régulier des discussions sur la suppression de l’organisme. Ce récit permet aussi de parcourir l’histoire des différentes disciplines et particulièrement celles qui ont été marqués par les membres du CNRS, et au premier titre la physique puis la biologie.

On ne peut décrire ici en détail tous les apports du livre. On signale juste le cas particulièrement passionnant de la figure du géologue Charles Jacob, le responsable du CNRS durant les années de la Seconde Guerre mondiale. Grâce aux papiers personnels de ce scientifique déposé à l’Institut, on comprend beaucoup mieux tout à la fois sa grande proximité avec le gouvernement du maréchal Pétain et toutes les difficultés de l’organisme pendant le conflit.

L’ensemble des grandes questions de l’histoire du CNRS est bien présenté que ce soit les rapports difficiles récurrents entre Enseignement supérieur et organismes de recherche, les enjeux liés à la vie politique française, le délicat sujet des budgets de la recherche ou le débat majeur sur les statuts des chercheurs. Le livre montre ainsi le rôle joué à des moments précis par le regard des grands corps de l’Etat sur le CNRS que ce soit à l’occasion d’un rapport de l’Inspection des Finances ou d’une décision du Conseil d’Etat. Le livre réussit à rendre compte de nombreuses polémiques et ne propose pas ni une vision hagiographique ou pacifiée de l’histoire de l’institution. Un utile index se révèle précieux. On regrettera juste que les images qui sont proposées dans un cahier central ne soient que purement illustratives et que des éléments bibliographiques trop sommaires soient mentionnés sur le rabat de la couverture.

Alain Chatriot

02 novembre 2009

Une planète qui ne tourne pas rond

Blog bouchard
Une planète rocheuse, en orbite à une distance convenable autour d'une étoile de type solaire, pourvue d'une atmosphère respirable : c'est un ingrédient indispensable aux récits de science-fiction mettant en scène des pionniers de l'espace. Je m'étonne d'ailleurs régulièrement, en lisant ce type de roman, de l'inconscience, ou de la chance, de ces expéditions qui quittent la Terre souvent sur la foi d'observations très parcellaires. Les distances interstellaires rendent prohibitifs les délais d'envoi d'une sonde ou d'une première expédition réduite : le temps que les informations reviennent, les promoteurs de l'expédition seront morts depuis longtemps, et leur souvenir risque fort d'être oublié. Mais quand même !

Les téméraires colons de L'étoile flamboyante (Nicolas Bouchard, Editions Mnémos, 2009, 300 p., 21 €) sont donc partis, dans des conditions quelque peu mouvementées (mais on ne saura pas pourquoi des sociétés concurrentes de celle qui a organisé le voyage ont tenté de s'y opposer avec des moyens radicaux), vers une planète apparemment habitable. Ils ont de la chance, elle l'est effectivement, avec toutefois une réserve : sa rotation sur elle-même est synchrone avec sa rotation sur son orbite, et elle présente toujours la même face à son étoile. Une face brûlante, donc, et une face glacée. Seule la partie intermédiaire, où s'est formée une profonde vallée sous l'effet de la dilatation du sol, est propice à la vie. C'est le décor, et l'enjeu, du récit : serait-il possible de modifier la rotation de cette Gaïa pour la rendre plus habitable?

De la géoingéniérie en très grand! On pense évidemment à ceux qui proposent aujourd'hui de modifier chimiquement l'atmosphère ou l'océan pour influer sur le changement climatique terrestre. Et l'on se souvient de l'explosion finale qui, dans « La nuit des temps » de René Barjavel, faisait basculer la Terre sur son orbite. Les « vilains » de l'histoire n'ont donc pas forcément tort dans leur préoccupation d'empêcher toute intervention sur la dynamique planétaire, intervention dont il est bien difficile de prévoir l'issue et les conséquences pour la vie, déjà si difficile à maintenir. Même si leurs motivations sont critiquables (préserver leur pouvoir et leurs intérêts économiques) et leurs moyens carrément répréhensibles (le meurtre est un moyen courant de gouvernement), le final quasi apocalyptique (les héroïnes arriveront à leurs fins, comme on le devine assez vite) leur donne a posteriori presque raison.

L'auteur respecte les canons du genre, et emprunte aussi ses autres thèmes aux meilleures sources de l'aventure et de la science-fiction : des manipulations génétiques permettent la création de différentes castes d'humains, dont les moins « perfectionnés » sont assujettis aux autres ; un monde dominé par des entreprises familiales et claniques ; des moyens de transport volants directement sortis de Star Wars ; des super-pouvoirs ; des héroïnes (il n'y a que des femmes, les méchants, en revanche, sont tous des hommes) très différentes mais qui forment ensemble une équipe ultra-performante... On passe un bon moment. Il aurait été encore meilleur si l'auteur avait évité quelques manques de cohérence interne, et avait un peu plus soigné son écriture, dont le niveau est inégal.

Luc Allemand