Vivre avec les mathématiques
Vivre avec les mathématiques ?... Mais tout le monde le fait aujourd'hui, que ce soit dès l'école, où sa fonction de matière sélective la met dans un rôle qui ne lui appartient pas, ou dans la vie de tous les jours : musique, cinéma, Internet, robots, etc. Mais tel n'est pas le thème de la réflexion proposée par Jean Michel Salanskis, professeur en philosophie des sciences et « ancien » praticien des mathématiques, dans son dernier ouvrage (Vivre avec les mathématiques, Le Seuil, coll. « Science Ouverte », 155 p., 17 €).
Il s'agit plutôt de décrire puis de réfléchir à son parcours « oedipien » vis à vis de cette science, qui manifestement, pris une grande place dans sa vie. Parcours d'abord initiatique, celui d'un enfant né dans une famille aisée, doué pour cette matière et amené de façon ludique par ses parents à la curiosité et l'honnêteté intellectuelle qu'elle suppose. Parcours de la découverte, au lycée, en classes préparatoires, puis à Normale Sup, diverses périodes d'un passage enrichissant et obligatoire avant l'intensité, la beauté et la richesse de l'apprentissage de la recherche mathématique. Son aboutissement est par ailleurs mal vécu, puisque l'auteur ne poursuit pas dans cette voie (pourquoi ? Il donne quelques pistes, mais je ne suis pas persuadé que ce soient les raisons essentielles), passe l'agrégation et finit par « échouer » comme enseignant du secondaire. Le terme échouer est-il trop fort, trop péjoratif ? L'auteur doit le penser car il y découvre une autre façon de se consacrer aux mathématiques, une autre façon de faire jaillir l'étincelle et le sourire de la compréhension dans les yeux de ceux qui le regardent. Il ne doit pas le penser entièrement, puisqu'aujourd'hui, il retrouve une position académique et se consacre à la philosophie des mathématiques (il se « flagelle » dans les très belles pages du paragraphe intitulé mélancolie...) La fin de l'ouvrage est consacrée à ce regard plus intellectuel, plus distant, et donc plus juste, sur le rôle des mathématiques sur les différentes composantes de notre société.
Voici réellement un très beau livre, intelligent, sans concessions, écrit dans l'esprit des Confessions, à recommander à tous ceux qui pensent que les maths ont gâchés leur vie et à ceux qui, au contraire, estiment qu'elles ont remplies leur existence. A recommander également à ceux qui débutent leur apprentissage pour leur montrer que malgré l'aridité du voyage, les promesses dont ils entendent constamment parler, sont effectivement tenues à l'arrivée.
Henri Lemberg
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