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21 octobre 2009 |

Opération Vent printanier

Blog printanier
« Opération Vent printanier » est le nom de code de la Rafle du Vel’d’Hiv réalisée par la police parisienne le 16 juillet 1942 visant les juifs au regard des lois raciales de Vichy. C’est aussi le titre d’un très bel album, profond et dérangeant, du à Philippe Richelle pour le scénario, Pierre Wachs pour le dessin et Domnok pour les couleurs (Casterman, 2009, 64 p., 15 €), inscrit résolument dans l’histoire passée mais aussi dans sa trace présente. La quatrième de couverture rappelle qu’en France, « l’administration choisit de se charger de l’œuvre d’arrestation et de déportation des juifs décidée par le régime nazi dans toute l’Europe occupée. A Paris, 9 000 policiers et gendarmes sous les ordres de René Bousquet arrêtent 13 000 juifs, dont 4 000 enfants que les nazis n’avaient pas formellement réclamés. La moitié d’entre eux est parquée dans le camp de Drancy, les autres au Vélodrome d’Hiver de la rue Nélaton. Quelques jours plus tard, ils seront convoyés vers les camps d’extermination. » L’album se clôt sur un fragile happy end, au début de la Libération, sur lequel nous allons revenir dans un instant, mais aussi sur une dernière page où il est écrit notamment : « Ce n’est qu’en 1995 que, par la voix du président Chirac, l’Etat français reconnaîtra sa responsabilité dans la rafle et dans la Shoah… » Et c’est vrai que ce discours du Vel’ d’Hiv, du 16 juillet 1995, l’un des premiers du président nouvellement élu de la République, était exceptionnel, à la fois parce qu’il faisait passer dans le discours public et la parole officielle la vérité de l’histoire et parce qu’il mettait fin à cinquante années d’ambivalence, de refus et de silence assumés par les plus hautes autorités de la République jusqu’à François Mitterrand lui-même, prédécesseur de Jacques Chirac et ami de René Bousquet qu’il recevait à l’Elysée ou dans sa maison des Landes. Sur cette page blanche finale sont rappelées aussi la persécution et la déportation des homosexuels par le IIIe Reich. « En France, il faudra attendre 1982 pour que l’homosexualité ne soit plus considérée comme un délit… »

Ce projet heuristique tracé, il fallait le mettre en récit et en dessin. Et c’est là la nouvelle réussite de cet album, en deux parties – la seconde étant publiée aujourd’hui. Le dessin, avec sa précision et son caractère, restitue parfaitement le Paris de l’Occupation, le tragique des situations, la profondeur des personnalités, la jeunesse des héros, la détresse des adultes. Le scénario est lui remarquable dans la mesure où l’introduction de la contingence des personnages et des relations personnelles permet de transmettre aussi bien la compréhension de l'écrasement de l’histoire collective que la connaissance de la capacité de certaines personnes à lui échapper par l’intelligence, la chance ou simplement le refus d’obéir aux ordres inhumains. La morale profonde de cet album tient dans la certitude que quelques-uns pourront racheter la lâcheté ou la trahison du plus grand nombre. Wachs et Richelle les révèlent au grand jour, les uns comme les autres. Ils participent par là à la réflexion essentielle sur la mise en récit de la connaissance, élément capital dans le progrès intellectuel, politique, scientifique.

Vincent Duclert

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