En cette année de multiples anniversaires darwiniens, comment éviter de lire La Bible de Darwin (par James Rollin, Fleuve Noir, 2009) ? L'éditeur français a eu la bonne idée de ne pas traduire le titre original « Black Order », allusion aux Waffen SS. Le prologue du livre commence pourtant bien en 1945, avec l'évacuation des résultats d'un laboratoire secret par une section SS. Mais très vite, c'est de nos jours, à Copenhague, qu'un agent secret américain tente de comprendre pourquoi une Bible ayant appartenu à Darwin suscite tant de convoitises meurtrières. Pendant ce temps, l'un de ses collègues de la Force Sigma, sorte d'équipe de James Bond (mais américains) spécialisés en affaires scientifiques, tente de survivre à un massacre perpétré dans un monastère. Avec l'aide de leurs collègues, ils retrouveront les nazis et leurs descendants, qui regretteront amèrement de s'être frottés à eux. L'explication finale, en Afrique du Sud, sera sans pitié.
Sachant que la Force Sigma fait l'objet d'une série de romans, on peut se détendre. On suit les péripéties, qui ne manquent pas, sans se demander si les héros survivront : il s'agit seulement de savoir comment ils y parviendront. Et comme l'auteur a bon fond, les seuls morts de l'affaire sont soit des méchants (très méchants), soit des gentils auxquels il n'a pas la cruauté de nous laisser nous attacher. C'est efficace, et on passe un bon moment.
L'aspect scientifique, qui motive toute l'affaire est plus contestable. D'autant que l'auteur nous gratifie d'une note d'explication finale qui ne contient que des rumeurs sans fondement. Selon lui, les nazis auraient conduit des expériences secrètes destinées à mettre au point des armes utilisant la mécanique quantique. Et d'opposer au cours du livre, l'arme atomique, issue de la théorie de la relativité, qui aurait été méprisée par les nazis parce que « théorie juive », à d'hypothétiques « armes quantiques », issues d'une théorie plus aryenne. C'est bien mal connaître l'histoire des sciences, et en particulier le rôle déterminant d'Einstein aussi dans l'élaboration de la théorie quantique. Par ailleurs, si les nazis avaient une quelconque avance scientifique sur les Etats-Unis, c'était tout au plus dans le domaine des fusées, comme l'actualité récente nous l'a rappelé (les Américains doivent en partie leur succès lunaire à Werner von Braun, concepteur des V1 et V2).
Il y a bien un passage scientifique acceptable, page 345 et suivantes, avec un cours express de mécanique quantique. Cela commence plutôt bien, par l'explication de l'expérience des fentes d'Young avec des électrons http://www.lac.u-psud.fr/experiences-optique/interferences/young/fr-young.html (qui ne forment une figure d'interférence que si l'on ignore par quelle fente ils sont passés). Mais ça tourne très vite à la confusion, l'ADN devenant un « outil de mesure quantique » et la mécanique quantique expliquant l'origine de la vie. Partant, il est bien normal qu'une machine conçue pendant la Seconde guerre mondiale (qui avait été transporté au début du livre!) utilise la mécanique quantique pour diriger l'évolution du vivant. Ce n'est pas seulement de la science-fiction, c'est un mélange de théories mal comprises. Et quant en outre cette machine a aussi un effet sur les êtres vivants déjà constitués, c'est n'importe quoi. Quant à la Bible de Darwin, elle termine en cendres, ce qui n'est pas bien grave : elle n'avait servi qu'à cacher un message qui lui était tout à fait étranger.
Luc Allemand,
La Recherche