La nouvelle question scolaire
Au lendemain d’une manifestation importante d’opposants aux réformes du ministre de l’Education nationale Xavier Darcos, et que l’on soit favorable ou hostile aux projets du gouvernement, on ne peut s’empêcher de constater que l’école continue de demeurer l’objet de toutes les attentes collectives et individuelles. La raison de cette attention extrême vient de l’histoire, la IIIe République ayant placé cette institution de savoir et ses serviteurs (les « hussards noirs » honorés par Charles Péguy) au cœur de son projet intellectuel et national ; elle émane aussi de l’idée largement partagée qu’en face des incertitudes de l’avenir et des difficultés de l'existence, l’école demeure la garantie de pouvoir construire sa vie et choisir son destin. Les résultats ne sont certes pas à la hauteur de cette certitude, de cette croyance, mais celle-ci anime encore les adultes et de nombreux adolescents. Cependant, l’écart entre les vertus conférées à l’école et les échecs présumés de la scolarisation a nourri la logique des réformes gouvernementales (l’autre donnée résultant de la nécessité de réduire le budget de l’Education nationale afin de faire baisser le déficit des finances publiques). A cet égard, on conseillera de lire ou de relire l’ouvrage d’Eric Maurin paru l’année dernière. Ce jeune économiste a démontré, dans un essai méthodique et inspiré, La nouvelle question scolaire (Seuil, 272 p., 18 €), les bénéfices qu’assurent, pour l’institution en général et les élèves en particulier, les politiques de démocratisation de l’école. Celles-ci ont défini les années 1980 en France. De ce point de vue, il serait suicidaire de revenir à la situation antérieure, à moins de vouloir renoncer définitivement à maintenir de la mobilité et du progrès dans la société. Soutenir un projet de démocratisation de l’école suppose un effort accru en direction des élèves en difficulté afin de les amener à niveau et de leur apporter les moyens d’apprendre, de comprendre. Mais cela implique aussi de garantir à tous un même enseignement de qualité et d’exigence, et de ne pas sacrifier les savoirs fondamentaux. Car l’école et ses politiques, comme l’écrit avec gravité Eric Maurin, relèvent d’une histoire qui les dépasse, à savoir « le long mouvement des démocraties vers une plus grande égalité entre personnes issues des milieux sociaux différents. Dans l’économie générale de cette histoire, la promesse d’égalité n’a, en effet, jamais pu se réduire à l’égalité formelle des droits civils et politiques : elle a du faire face très tôt, sinon à une demande d’égalité des conditions réelles d’existence, du moins à une revendication d’égalité des chances scolaires entre enfants d’origines sociales différentes. »
Ces quelques lignes de La nouvelle question scolaire disent aussi l’esprit du livre d’Eric Maurin qui démontre les vertus des sciences sociales pour penser une question immense comme l’école aujourd’hui. Si sa conclusion est qu’il faut intensifier les politiques de démocratisation et l’étendre davantage à l’enseignement supérieur, tout son travail se veut une démonstration magistrale de l’importance des sciences économiques et sociales - dont le ministre veut supprimer (ou réduire drastiquement) les cours en lycée.
Vincent Duclert, EHESS
Rédigé par : duclert | 20 octobre 2008 à 18:18
Le jeudi 23 octobre aura lieu à l'EHESS une table ronde sur l'Ecole, avec François Dubet (dont nous avons rendu compte du livre) et Marcel Gauchet, notamment, mais sans Eric Maurin. A 18h15 au 105 bd Raspail à Paris 6e.