Langues au pouvoir
Pour la première fois dans l’histoire de la République, un débat sur les langues régionales était organisé en mai dernier à l’Assemblée nationale. Dans la foulée, un amendement, voté dans le cadre de la réforme des institutions, préconisait d’inscrire dans la Constitution que les langues régionales appartiennent au patrimoine culturel de la France. Cette reconnaissance de la richesse linguistique s’était dans un premier temps heurtée au refus du Sénat qui y voyait une atteinte à l’identité nationale. Mais le Parlement, réuni en Congrès le 21 juillet pour entériner la réforme des institutions, avait finalement voté l’amendement. Cette épisode qui a trouvé un certain écho dans les médias grâce à la mobilisation des députés bretons, corses, alsaciens et des associations qui luttent pour préserver les langues régionales, traduit l’une des facettes de la lutte que se livrent les langues, et à travers elles, les rapports de force existant entre les communautés linguistiques. L’ouvrage que Christiane Loubier vient de publier (Langues au pouvoir. Politique et symbolique, 2008, l’Harmattan, 242 p., 23 €) propose une réflexion bien venue sur ces luttes et rapports de force entre les langues, qui sont analysés dans le cadre de l’aménagement linguistique de non sociétés. L’intérêt de l’étude est de privilégier une conception d’aménagement linguistique comme une dynamique d’adaptation multidimensionnelle entre la langue et la société. Deux types d’aménagement linguistique sont relevés : l’autorégulation sociolinguistique, qui fait référence à l’intervention des usagers sur leur langue et la régulation liée l’intervention d’acteurs officiels, tels que l’Etat, décideurs, politiques. Mais le constat est vite fait du poids déséquilibré de chaque intervention sur les destinées des langues. Le système d’autorité, le pouvoir de chaque appareil étatique, les idéologies des institutions politiques déterminent, comme dans le cas des langues régionales en France, la nature des droits et le type de reconnaissance qui sont accordés ou refusés aux individus et aux groupes linguistiques. Si la diversité linguistique et culturelle est le principal argument de la défense du français face à l’hégémonie de l’anglais, elle semble devoir tout autant profiter aux langues régionales.
Salih Akin, Université de Rouen
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