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25 août 2008 |

La solidarité. Histoire d'une idée

Blog_vernant_1 Dans le dernier texte de l’ouvrage de Jean-Pierre Vernant Entre mythe et politique (Le Seuil, coll. « La Librairie du XXIe siècle », 1994, réédité dans Les Œuvres, deux volumes des éditions du Seuil dus à Maurice Olender *), l’anthropologue de la Grèce ancienne et ancien résistant au nazisme ** écrit : « Dans une société telle que la nôtre, faite d’exhibition et d’indifférence, chacun prétend pouvoir mener sa barque comme il l’entend. Mais le sentiment de la dette demeure néanmoins chez un grand nombre de gens, sous des formes variées. Germaine Tillion avait raison de dire récemment lors d’une émission télévisée, que lorsque quelqu’un frappe à la porte, il y a ceux qui ouvrent et ceux qui n’ouvrent pas. Celui qui ouvre, c’est celui qui se sait en dette. Les Grecs disaient déjà qu’il fallait ouvrir quand on venait frapper chez vous, parce que, n’est-ce pas, comment savoir si le vieux clochard qui empuantit alors votre jardin n’est pas en réalité un dieu venu vous visiter pour voir si vous vous sentez bien en dette ? »

Blog_buisson Ferdinand Buisson, le réformateur scolaire de la IIIe République, le bras droit de Jules Ferry à la direction de l’Instruction primaire, ne disait pas autre chose en ouverture de son cours de « Science de l’éducation », le 3 décembre 1896 à la Sorbonne, faisant du « sentiment du devoir social, disons mieux, de la dette sociale qui pèse sur chacun de nous », parmi « tous les sentiments nouveaux qui ont germé en silence depuis une ou deux générations au fond de la conscience publique [...] le plus fort et le plus profond ».

Blog_blais Cet extrait du cours de Buisson ouvre la belle étude de Marie-Claude Blais sur La solidarité. Histoire d’une idée (Gallimard, coll. « Bibliothèque des idées », 2007, 347 p., 22,50 €). Elle démontre comment l’idée de solidarité a été élaborée par des penseurs du XIXe siècle et comment la IIIe République en a fait une valeur politique, certes inachevée, qui ne s’est pas s’ajoutée au triptyque de la devise républicaine. Cette historienne, déjà auteure en 2000 d’une étude remarquée parue chez le même éditeur, Au principe de la République. Le cas Renouvier, conclut sur la nécessité aujourd’hui de repenser l’idée de solidarité, afin de la rendre à nouveau pertinente, « au moment où tout événement a une répercussion mondiale et où la moindre décision engage le monde que nous laissons aux générations futures. Elle présente sur ses voisines l’avantage de mettre en avant la dimension consciente et volontaire de toute association humaine. » Marie-Claude Blais souligne avec force la nécessité de relancer l’idée de solidarité en connaissance de cause. Le « retour aux origines de l’idée » permet d’ « éclairer les impensés de son regain actuel ». Le passage par le savoir scientifique permet d’affronter lucidement les questions contemporaines. Ainsi « la solidarité devrait connaître un meilleur destin que cette banalisation consensuelle en forme de poudre de perlimpinpin où elle risque fort de sombrer une deuxième fois. »

Vincent Duclert, EHESS

Blog_vernant_oeuvres * Les Œuvres de Jean-Pierre Vernant avaient été le Livre du mois de La Recherche en novembre dernier : Œuvres. Religions, Rationalité, Politique, Le Seuil, coll. « Opus », 2007, 2512 p. 69 €).

** La photographie de Jean-Pierre Vernant présentée plus haut provient du site de l'Ordre des Compagnons de la Libération, dont il était membre. http://www.ordredelaliberation.fr/fr_compagnon/1009.html

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