Nanosciences
Il était une fois des explorateurs libres et heureux qui fouillaient les entrailles de la matière à l’échelle de quelques dizaines d’atomes dans le noble but de « lever un coin du grand voile » sur les traces du grand duc, Louis De Broglie. Mais une bande de méchants politiciens aux vils intérêts s’emparèrent du chantier ouvert par les gentils chercheurs, pour en faire un grande cause publicitaire, compétitive, peu crédible. Ce joli conte est l’une des multiples versions de la saga des nanos. Selon Christian Joachim, auteur avec Laurence Plévert de Nanosciences. La révolution invisible (Seuil, coll. « Science ouverte », 2008, 189 p., 18 €), les nanotechnologies sont un détournement de l’électronique moléculaire qui, dans les années1970-80, entrerprit de construire des circuits à partir des atomes, selon une démarche bottom-up, dans le but louable d’économiser la matière et les ressources de la planète. Voilà les vraies nanos. Tout le reste est usurpation de marque. De vilains chimistes et ingénieurs en matériaux ont transformé cette belle science en un fourre-tout et semé la peur dans le public. Bref, les nanos ne sont pas une technologie mais une science. Une science pure, restreinte au champ de recherche que pratique l’auteur et sa communauté. L’histoire des sciences convoquée pour étayer ce message est cette histoire biaisée qu’on trouve encore dans les manuels de sciences, avec des questions bien formulées, censées intéresser tout le monde, et des solutions trouvées dans une expérience unique. Les physiciens habitués à la pureté des laboratoires veulent aussi purger l’histoire des scories, et du bruit des contingences sociales. Après avoir bien purifié les nanos, Joachim donne néanmoins son avis sur ce qui fut écarté du champ : nanomatériaux, nanorobots, nanobactéries, … générent des risques qui alertent le public. Aux industriels d’assumer leurs responsabilités ! On ne va pas arrêter la science pour autant ! Par rapport à d’autres ouvrages qui vulgarisent les nanos, ce livre a l’immense avantage de raconter une aventure sans feindre l’objectivité. Il séduira les chercheurs en lutte contre le pilotage de la recherche et l’ingérence de l’opinion publique dans leurs affaires. Aux autres, il apprend deux ou trois choses essentielles: 1) que les chercheurs sont de sympathiques rêveurs. 2) que les molécules ne sont plus des briques élémentaires mais des machines qu’on rêve de synthétiser en une seule fois. Or précisément cette révolution invisible n’appelle-t-elle pas une réflexion approfondie sur le régime de savoir qui en découle, plutôt que des appels nostalgiques à un illusoire âge d’or de pureté et d’innocence ?
Bernadette Bensaude-Vincent, université de Paris X
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