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novembre 2010

15/11/2010

Analogisme : les poupées Katsinam ou les qualités du monde

 

Dans la vision analogiste, tous les occupants du monde, y compris leurs composantes élémentaires, sont dits différents les uns des autres. Chez les Indiens Hopi du sud des Etats-Unis, ces composantes élémentaires, ces qualités du monde, sont représentées par des divinités, les Katsinam. Et l’analogisme s’efforce de tisser des liens entre ces composantes pour rendre le monde intelligible.

Poupée kachina_Arizona © musée du quai Branly, photo Thierry Ollivier, Michel Urtado

 

Les Katsinam (pluriel de katsina, aussi connu en français sous le nom de kachina) sont des divinités -il y en a près de 400- dont chacune représente une particularité du monde Hopi : des esprits de plantes, des esprits d’animaux, des qualités comme la fertilité, des phénomènes météorologiques (la neige, la pluie, la sécheresse etc.), des personnages (des clowns, des gardes…). Ces divinités Katsinam « résident » pendant six mois de l’année dans les villages des Indiens Hopis dont la tradition culturelle se rapproche de celle des Indiens du Mexique. Pendant ces six mois, elles s’incarnent chez les Hopis. Et le reste du temps, elles  habitent ailleurs dans la montagne. Lorsqu’elles sont présentes chez les Hopis, elles sont incorporées par des danseurs, qui les représentent par leur costume et leur masque, lors des cérémonies. C’est quasiment du music-hall : chaque ligne de danseurs représente un katsina et se déplace de manière très coordonnée ; des saynètes, souvent bouffonnes, sont constamment interpolées… Et les divinités sont aussi présentes sous forme de poupées que l’on confectionne pour les enfants, non pas pour qu’ils jouent, mais pour figurer les caractéristiques de chaque Katsina afin que les enfants les apprennent. Ces poupées sont accrochées dans les maisons et lorsque les parents et les grands-parents racontent les histoires qui décrivent les rituels et les mythes d’origine, ils peuvent dire par exemple en désignant l’une de ces poupées :  voici la dame qui représente la neige, elle a les cheveux blonds, elle porte des bottes blanches, elle a un poncho de telle couleur (ces cheveux, ces bottes, cette couleur sont donc ainsi associées à la neige). Chaque poupée représente un Katsina, qui représente lui-même une qualité du monde Hopi. Mais une poupée seule n’a pas de sens. Il faut les considérer toutes ensemble : elles constituent le grand réseau des qualités du monde Hopi, représentées de manière figurative, ce qui est très caractéristique de l’analogisme.

 

 

Analogisme : Massue en bois U’u des îles Marquises

Certains objets du monde analogiste utilisent les même images emboîtées les unes dans des autres, comme des fractales, pour renforcer la fonction d’un objet.

Massue

Cette massue en bois qui date du XIX è siècle vient des îles Marquises. Elle représente une des caractéristiques spécifiques de la figuration analogiste : l’utilisation de dispositions de type fractales pour intégrer des éléments divers. Dans ce cas, une image contient plusieurs fois les même images mais à des échelles différentes, les unes englobées dans les autres.

Ainsi, cette massue représente la tête d’une petite divinité qui a une fonction protectrice. Et sur cette tête, il y a non seulement l’image générale de cette petite divinité mineure avec les yeux, quelque chose qui ressemble à un nez, une bouche, mais en même temps les images complètes de cette tête sont reproduites à l’échelle réduite dans les pupilles, sur le haut du front, à la place du nez, et en dessous. La même image se retrouve de manière symétrique à l’arrière de la massue.

L’objectif est en fait de saturer la massue avec la présence de cette divinité afin d’attribuer à cette arme de guerre une fonction de protection et d’inspirer la terreur aux ennemis. On multiplie donc la divinité à différentes échelles, de façon à ce qu’aucune des parties de la massue ne lui échappe. Seuls les aristocrates marquisiens possédaient des massues de ce type, toutes caractérisées par le même dispositif de saturation fractale. L’idée qui sous-tend cette disposition est toujours celle du réseau, mais d’un réseau sous la forme d’une réplique à différentes échelles d’une même structure.