Animisme : chien engagé dans une action
Cette figurine appartient au monde animiste. Dans ce monde, les gens considèrent que la plus grande partie des existants (les plantes, les animaux, les esprits, les artéfacts etc) sont dotés d’une intériorité semblable à celle des humains. Et chacune de ces classes d’existant se distinguent par des corps et des aptitudes particulières. Et cela leur donne accès à des mondes particuliers qui sont le prolongement des organes et des capacités physiques que ces classes manifestent.
Ce genre de figurine est commun dans les régions circumpolaires, occupées par des peuples qui parlent des langues esquimaux comme les Yupik, les Inuit, les Iniupiaks et aussi de l’autre côté du détroit de Béring, par les Tchouktche qui parlent une langue différente. Toutes ces populations ont à peu près la même convention : elles représentent au moyen de petites figurines d’animaux le fait que l’âme est vue comme un modèle réduit du corps logé dans le corps. Autrement dit, l’intériorité est un corps en miniature. Ces figurines généralement sculptées en ivoire de morse symbolisent à la fois l’animal et en même temps son essence, son âme. Et l’âme représente en quelque sorte le modèle absolu et parfait de l’espèce. Sa manifestation concrète n’est qu’une expansion, la quintessence de cette espèce animale. Et les espèces animales sont presque toutes représentées au moyen de ces figurines.
De telles effigies servent à quelque chose de très particulier : elles sont attachées aux armes ou aux vêtements, servent de bloqueurs de lacets pour les parkas, de sorte qu’on les a constamment en vue, et qu’on peut constamment les manipuler de la même façon qu’on peut manipuler des pensées, des souvenirs, des idées. Car l’idée est qu’il faut toujours être en contact avec des animaux et maintenir une relation de connivence avec eux. Soit avec les animaux qui aident à la chasse, comme un chien, soit avec les animaux chassés. De façon à ce que cette connivence, qui est fondamentale pour le chasseur et pour le bon équilibre entre population humaine et population animale soit maintenue.
Et ce qui est très caractéristique, c’est que tous ces animaux sont figurés en train d’accomplir une action ; ils sont tendus vers un but. Ici, on voit ce chien minuscule (il doit faire 3 cm) : il a la langue pendante, il est haletant, il vient de s’arrêter après une course, probablement à la poursuite d’un animal. D’autres minuscules figurines représentent des oiseaux aquatiques en train de nager par exemple. A chaque fois l’animal est véritablement engagé dans une action : c’est une façon très simple de montrer que ces animaux sont dotés d’une intentionnalité, de même type que celle des humains, c’est-à-dire qu’ils ont un objectif, ils se projettent vers quelque chose. Et cette tension, cette direction vers un objet fait redoubler le principe de l’âme et de la quintessence. Ces figurines ont impressionné les premiers baleiniers : les Inuit en ont fabriqué pour eux et ce sont devenus aujourd’hui des objets commerciaux.
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