Naturalisme : Sainte-Madeleine lisant
Le naturalisme est l’ontologie qui domine en Occident depuis l’âge classique. Selon cette vision du monde, les humains se distinguent du reste des êtres vivants et des choses : ils sont les seuls à posséder une intériorité (un esprit, une âme) bien qu’ils se rattachent aux non-humains par leurs caractéristiques matérielles, c'est à dire par les éléments et les processus physico-chimistes de leur organisme. L'évolution de la peinture traduit la naissance du naturalisme.
Cette Sainte-Madeleine lisant est une peinture flamande de la première moitié du XVIème siècle. L’artiste n’est pas identifié, mais on l’a appelé le « maître des figures de femmes à mi-corps ».
Cette peinture paraît emblématique du naturalisme en ce qu’elle met bien en évidence les deux caractéristiques fondamentales de notre ontologie. D’une part, seuls les humains sont dotés d’une intériorité. D’autre part, et cette idée s’est développée avec Descartes puis avec Darwin, les humains ont finalement des caractères physiques qui ne sont pas différentes du reste des objets du monde.
Ces deux caractéristiques ont commencé à se développer dans la pensée et la philosophie à partir du XVII ème siècle. Mais elles sont apparues bien plus tôt dans la peinture, dès le XV ème siècle. Cette Sainte Madeleine est un peu plus tardive mais il y en a une autre au Louvre qui est un peu plus précoce.
Dans ce tableau, on commence à distinguer l’intériorité des humains. Les personnages qui figuraient auparavant dans les tableaux de la peinture médiévale étaient plutôt des types, des illustrations allégoriques, émanant souvent de l’histoire sainte. Ici apparaît l’individu, même s’il s’agit de Sainte-Madeleine : bien que ce soit un personnage typique de l’histoire sainte, derrière cette Sainte Madeleine, apparaît une femme particulière. Sainte-Madeleine est la pécheresse repentie, tout entière tournée vers la vie intérieure de l’âme. Et ici on la montre en train de lire ! La lecture est en effet ce qui manifeste le mieux le dialogue des intériorités, le dialogue silencieux entre un lecteur et un auteur. Même si ici, elle lit probablement une Bible.
Simultanément, les objets, la disposition de la pièce, la façon dont ils sont dépeints, tout cela manifeste finalement l’idée que les humains, leur environnement, les objets qui les entourent sont inscrits à l’intérieur d’un continuum spatial et physique, relativement homogène. C’est tout particulièrement manifeste ici. On a ce paysage qui s’inscrit dans la fenêtre (c’est un mécanisme très classique appelé la fenêtre flamande) qui est au fond la source de la peinture de paysage : l’arrière pays situé dans une croisée, derrière la scène de l’histoire sainte principale, est dépeint avec beaucoup de minutie et de précision, venant en quelque sorte prolonger l’espace intérieur de la maison.
Toutes ces caractéristiques n’étaient pas présentes auparavant dans la peinture. Elles commencent à prendre véritablement de l’ampleur au XV ème siècle et se généralisent au XVI ème siècle. La peinture traduit la vie intérieure, et le fait que les humains vivent leur vie dans un monde dans lequel, du point de vue des caractères physiques, ils ne se distinguent pas beaucoup du reste du monde. Un monde dans lequel on a une double obsession : dépeindre l’âme et imiter la nature, de la façon la plus fine possible.