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août 2010

16/08/2010

Analogisme : Le Bâton Divinité

Dans l’ontologie analogiste, tous les occupants du monde, y compris leurs composantes élémentaires, sont dits différents les uns des autres. Et c’est la raison pour laquelle cette ontologie s’efforce de trouver entre ces objets des rapports de correspondance.

7-bâton-divinité Ce bâton-divinité, staff-god en anglais, vient de l’une des îles Cook, l’île Rarotonga. Il date du premier tiers du XIX è siècle. Les images analogistes mettent en évidence que le monde est composé de choses disparates, et qu’il faut pouvoir tisser entre ces singularités des liens de correspondance. Les images analogistes sont donc généralement des images de réseau, d’assemblage, organisées à partir d’un principe de connexion. Ici le réseau que figure ce bâton est une ligne de filiation, une ligne de descendance, composée d’une tête d’ancêtre d’où descend une rangée de personnages disposés alternativement de face et de profil. Ils représentent les générations successives qui sont issues de cet ancêtre. Donc ce réseau, c’est à la fois une ligne de descendance, et le fait que chaque génération est différente des autres. Chaque génération est vraiment singulière, et l’image prend bien soin de le montrer.

On peut le voir dans les deux sens, vertical et horizontal.  A l’horizontal, c’est comme une pirogue dont la proue serait constituée par la tête de l’ancêtre : le peuplement de ces îles s’est fait bien évidemment en pirogue et donc chaque nouvelle lignée est arrivée dans une pirogue. Il n’y a pas cependant de volonté d’exactitude dans la représentation des générations. Les générations sont différentes, mais en même temps elles sont toutes reliées à un point d’origine. La pirogue signifie aussi que ce réseau s’est déplacé dans l’espace et a pris un nouveau départ lorsque cette pirogue est arrivée sur cette île : il a été la source d’une nouvelle lignée. Il est très difficile d’établir ce que fut exactement l’usage de ces bâtons-divinités.

 On sait à quoi cela fait référence, mais on ne sait pas dans quel contexte cet objet était utilisé. Il figurait dans les maisons communes, mais c’est tout ce que l’on sait. Il était probablement considéré comme une illustration symbolique de l’unité de la lignée.


 

09/08/2010

Naturalisme : la leçon de lecture

Selon le naturalisme, qui domine en Occident depuis l’âge classique, les humains se distinguent du reste des êtres vivants car ils sont les seuls à posséder une intériorité (un esprit, une âme). Dans la peinture hollandaise du XVII è siècle, cela se traduit par une incertitude sur l'interprétation de la pensée des personnages qui devient indéchiffrable.6-Leçon de lecture

Cette peinture de Gérard Ter Borch qui date de 1652, rend manifeste quelque chose que j’ai voulu souligner dans le naturalisme, c’est le fait que la conduite des personnages représentés dans la peinture hollandaise devient de plus en plus indéchiffrable. C’est une caractéristique de la peinture de Ter Borch, mais aussi de beaucoup d’autres peintres hollandais de la même époque.

L’histoire de la peinture a tendance à interpréter ces peintures comme étant des scènes morales. Par  exemple, un militaire donne de l’argent à une jeune femme, et on dit c’est une critique de la vénalité. Mais au fond, on ne sait pas véritablement de quoi il s’agit. Une femme lit une lettre, comme il y en a plusieurs, chez Vermeer. On pense qu’il s’agit de la lettre d’un amant. Mais au fond, on ne sait pas qui a adressé cette lettre, quel est son contenu.

Ici, il s’agit d’une leçon de lecture. On peut l’interpréter comme une mère ou une grande sœur qui fait lire un fils ou un petit frère. Mais en réalité, il est absolument manifeste dans cette peinture que les deux personnages sont dans des mondes différents. La femme pense à tout autre chose qu’à ce que fait l’enfant, l’enfant pense peut-être à tout autre chose en lisant, et au fond, ils ont des rapports qui sont difficiles à interpréter. Il y a une indécision en quelque sorte quant à l’individualité des personnages. C’est une façon très subtile que la peinture hollandaise a eu de mettre en scène ce que l’on pourrait appeler un milieu intersubjectif, au sein duquel se déploient des relations qui ne sont pas toujours faciles à interpréter.

C’est un premier petit basculement qui va ensuite prendre d’autres formes notamment au XVIII è siècle avec le développement de la peinture des images scientifiques, des flores et des faunes illustrées, des premières tentatives avec Fragonard de reconstruire des cadavres, à partir de corps.

Dans l’exposition il y a un écorché de Houdon qui est très caractéristique. Bien qu’il ait une pose relativement artistique, par contraste avec les traités d’anatomie les plus classiques, l’esthétisation est minimale. En fait, Houdon était un sculpteur et non un anatomiste, bien qu’il ait suivi les cours de dissection d’un professeur d’anatomie. Pourtant, cette statue a été achetée par des académies de chirurgie de toute l’Europe, comme un modèle de précision d’attache des muscles. Donc peu à peu, la peinture va vers la dimension physique de l’humanité. De façon à être au plus près des choses. Avec cette accentuation de la dimension physique qui se poursuit jusqu’à l’IRM.

La dernière étape, c’est l’impressionnisme, une tentative en peinture, de dépeindre les choses telles qu’elles sont, tel qu’une image s’imprègne sur la rétine d’un peintre, sans subjectivité. L’impressionnisme n’est pas subjectif, au contraire, c’est la volonté de représenter le réel sous son aspect phénoménal.  Après, il y a la grande rupture de l’art contemporain, où cette obsession du naturalisme de dépeindre les choses telles qu’elles sont pour notre perception peut exister chez certains peintres, Kandinsky ou Mondrian, par exemple, mais elle se manifeste plutôt dans les images scientifiques. Aujourd’hui ce sont les images scientifiques qui ont pris le relais de l’art descriptif.

02/08/2010

Naturalisme : la carpe, une nature morte

Le naturalisme domine en Occident depuis l’âge classique. Selon cette ontologie, les humains se distinguent du reste des êtres et des choses car ils sont les seuls à posséder une intériorité bien qu’ils se rattachent aux non-humains par leurs caractéristiques matérielles. La nature morte traduit la volonté d'objectiver le réel propre au naturalisme.

5-carpe La nature morte est un genre qui se développe beaucoup au XVII è siècle. Il est tout à fait particulier dans l’histoire de la peinture mondiale. On ne fait pas de nature morte habituellement, ni avant, ni ailleurs. On en a fait un peu en Chine et un peu au Japon, mais plus tardivement. L’histoire de la peinture nous apprend que les natures mortes avaient une fonction d’édification morale : elles mettaient en avant le caractère transitoire de la vie puisque ces animaux étaient vivants et qu’ils sont morts.

Mais au-delà de cette dimension morale et symbolique, ce qui est surtout frappant dans cette nature morte, c’est la volonté de dépeindre le réel tel qu’il est, c’est-à-dire de l’objectiver. Autrement dit, de rendre objectif un monde physique en conservant le minimum de symbolisme nécessaire, avec un côté photographique. On l’a souvent souligné d’ailleurs : la peinture hollandaise du XVII è siècle, non seulement pour les natures mortes mais aussi pour les images d’intérieur par exemple était une sorte de prémisse de la précision photographique. C’est une peinture obsédée par le désir de décrire le réel dans toute sa subtilité et sa complexité par contraste avec une peinture plus allégorique, plus narrative, en particulier la peinture italienne, qui continue à raconter des histoires, tout en étant d’une grande virtuosité.

Cette entreprise d’épuiser toutes les caractéristiques du monde physique dans leur singularité, cette entreprise de description du monde de manière systématique, est tout à fait caractéristique du naturalisme. Taine disait de la peinture hollandaise « il suffit aux choses d’être pour qu’elles soient dignes d’intérêt », parce que au fond des carpes, ce n’est pas spécialement intéressant, ce n’est pas comme l’Annonciation ou bien l’Enlèvement des Sabines ou les thèmes classiques héroïques d’une grande partie de la peinture italienne.

Les carpes sont vraiment des choses banales, mais du fait qu’elle sont décrites dans toute leur chatoyante réalité, elles perdent leur banalité. Cette obsession de dépeindre et d’imiter la nature est une des caractéristiques du naturalisme. Un trait de la peinture hollandaise de nature morte est qu’il y a un désir de dévoilement anatomique :  les fruits sont ouverts, les animaux sont ouverts, les poissons sont ouverts, quelque fois des horloges sont ouvertes pour en montrer le mécanisme. C’est l’idée au fond, que par cette description minutieuse, on montre à la fois l’extérieur et l’intérieur des choses.