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09/08/2010 |

Naturalisme : la leçon de lecture

Selon le naturalisme, qui domine en Occident depuis l’âge classique, les humains se distinguent du reste des êtres vivants car ils sont les seuls à posséder une intériorité (un esprit, une âme). Dans la peinture hollandaise du XVII è siècle, cela se traduit par une incertitude sur l'interprétation de la pensée des personnages qui devient indéchiffrable.6-Leçon de lecture

Cette peinture de Gérard Ter Borch qui date de 1652, rend manifeste quelque chose que j’ai voulu souligner dans le naturalisme, c’est le fait que la conduite des personnages représentés dans la peinture hollandaise devient de plus en plus indéchiffrable. C’est une caractéristique de la peinture de Ter Borch, mais aussi de beaucoup d’autres peintres hollandais de la même époque.

L’histoire de la peinture a tendance à interpréter ces peintures comme étant des scènes morales. Par  exemple, un militaire donne de l’argent à une jeune femme, et on dit c’est une critique de la vénalité. Mais au fond, on ne sait pas véritablement de quoi il s’agit. Une femme lit une lettre, comme il y en a plusieurs, chez Vermeer. On pense qu’il s’agit de la lettre d’un amant. Mais au fond, on ne sait pas qui a adressé cette lettre, quel est son contenu.

Ici, il s’agit d’une leçon de lecture. On peut l’interpréter comme une mère ou une grande sœur qui fait lire un fils ou un petit frère. Mais en réalité, il est absolument manifeste dans cette peinture que les deux personnages sont dans des mondes différents. La femme pense à tout autre chose qu’à ce que fait l’enfant, l’enfant pense peut-être à tout autre chose en lisant, et au fond, ils ont des rapports qui sont difficiles à interpréter. Il y a une indécision en quelque sorte quant à l’individualité des personnages. C’est une façon très subtile que la peinture hollandaise a eu de mettre en scène ce que l’on pourrait appeler un milieu intersubjectif, au sein duquel se déploient des relations qui ne sont pas toujours faciles à interpréter.

C’est un premier petit basculement qui va ensuite prendre d’autres formes notamment au XVIII è siècle avec le développement de la peinture des images scientifiques, des flores et des faunes illustrées, des premières tentatives avec Fragonard de reconstruire des cadavres, à partir de corps.

Dans l’exposition il y a un écorché de Houdon qui est très caractéristique. Bien qu’il ait une pose relativement artistique, par contraste avec les traités d’anatomie les plus classiques, l’esthétisation est minimale. En fait, Houdon était un sculpteur et non un anatomiste, bien qu’il ait suivi les cours de dissection d’un professeur d’anatomie. Pourtant, cette statue a été achetée par des académies de chirurgie de toute l’Europe, comme un modèle de précision d’attache des muscles. Donc peu à peu, la peinture va vers la dimension physique de l’humanité. De façon à être au plus près des choses. Avec cette accentuation de la dimension physique qui se poursuit jusqu’à l’IRM.

La dernière étape, c’est l’impressionnisme, une tentative en peinture, de dépeindre les choses telles qu’elles sont, tel qu’une image s’imprègne sur la rétine d’un peintre, sans subjectivité. L’impressionnisme n’est pas subjectif, au contraire, c’est la volonté de représenter le réel sous son aspect phénoménal.  Après, il y a la grande rupture de l’art contemporain, où cette obsession du naturalisme de dépeindre les choses telles qu’elles sont pour notre perception peut exister chez certains peintres, Kandinsky ou Mondrian, par exemple, mais elle se manifeste plutôt dans les images scientifiques. Aujourd’hui ce sont les images scientifiques qui ont pris le relais de l’art descriptif.

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Commentaires

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En se dirigeant vers l'art abstrait, la peinture contemporaine n'a-t-elle pas vidé l'individu de l'intériorité, propre au naturalisme ? Comment expliquer cette grande rupture de l'art contemporain ? Est ce qu'elle symbolise l'entrée dans une nouvelle ontologie qui ne serait plus le naturalisme ?

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