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12/07/2010 |

Animisme : masque tigre et humain

Ce masque est représentatif du monde animiste. Dans ce monde, les gens considèrent que la plus grande partie des existants (les plantes, les animaux, les esprits, les artéfacts etc) sont dotés d’une intériorité semblable à celle des humains. Et chacune de ces classes d’existants se distingue par des corps et des aptitudes particulières. Cela leur donne accès à des mondes particuliers qui sont le prolongement des organes et des capacités physiques que ces classes manifestent.

1-ChamanMa batisek Ce masque Ma’bétisek vient de Malaisie, d’une zone du littoral, les marais de Sélengor. Il date des années 1960. C’est un masque de chamane, qui laisse voir très clairement la dualité des entités présentes dans le monde animique puisqu’il représente un tigre et un humain avec une division latérale : la partie droite du visage (à gauche sur la photo) est celle de l'humain, alors que la partie gauche est celle du tigre. Il suffit d’un très léger déplacement dans l’espace pour passer de la perspective du corps, c’est-à-dire ici celle du tigre, à la perspective de sa dimension subjective, rendue manifeste par un morceau de visage humain.

Ce masque représente un esprit très important pour les Ma’betisek, des populations aborigènes de Malaisie. Dans ce pays, il y deux types de populations d’une part les Malais et les Chinois, et d’autre part des populations aborigènes ou autochtones, dites « Orang Asli », qui étaient là avant les Chinois et les Malais. Et les Ma’betisek sont l’une d’entre elles. Toutes ces populations autochtones, à la différence des Chinois et des Malais qui sont plutôt du côté analogistes, appartiennent à ce que j’appelle l’ « archipel animique ». 

L’esprit de ce masque est important pour les Ma’bétisek parce qu’il fait partie des mythes de la genèse, et qu’il est toujours présent dans leur environnement quotidien. En revêtant ce masque, le chamane incarne et incorpore ces deux entités. La mâchoire inférieure est mobile. Et ce que ce masque met en évidence, c’est le basculement de perspective, tantôt on voit le tigre sous sa dimension corporelle, c’est-à-dire avec son corps de tigre, avec ses capacités de tigre, tantôt on le voit, non pas sous une dimension humaine, mais comme un tigre avec une subjectivité de type humain. Et cette indécision quant à la nature profonde des êtres est une caractéristique de l’animisme. Les corps sont d’un type particulier mais leur intériorité étant de type humaine, et les corps étant conçus comme des vêtements, on ne sait jamais véritablement qui se cache sous un vêtement. Donc, on peut très bien être face à un tigre qui peut être en fait un humain qui s’est revêtu d’un costume de tigre ou d’un humain qui est en fait un tigre qui s’est revêtu d’un costume d’humain. Ce masque met ainsi en évidence la capacité de commutation dont jouissent des spécialistes rituels, des chamanes ou d’autres, qui leur permet de passer d’une perspective à une autre. Du fait du caractère fixe des corps, les individus peuvent changer de corps, mais en même temps, ils ne voient les autres qu’avec le corps qu’ils veulent bien manifester. Et les chamanes et spécialistes rituels ont la capacité de voir derrière les corps, de qui il s’agit en réalité. Ils sont des médiateurs entre les points de vue en quelque sorte. C’est ce que ce masque met en évidence.

Les chamanes revêtent ce masque lors de rites de guérison. Or les mêmes rites se pratiquent en Amérique du Nord, en Alaska, en particulier chez les « Yupik », ou le long de la côte Nord-Ouest avec là aussi des masques à transformation : leur forme extérieure est celle d’un animal et ils s’ouvrent par des volets mobiles sur un visage de type humain. Un de ces masques de Yupiks, montré dans l’exposition, présente un visage à l’intérieur d’un grand bec d’oiseau. Quand le danseur  qui porte ce masque baisse la tête, on voit le visage de l’oiseau, et lorsqu’il remonte la tête, il révèle le visage humain, c'est à dire l’intériorité animale. il est donc intéressant de noter que des dispositifs du même ordre, celui de la commutation, existent dans des régions très éloignées du monde.

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