Naturalisme : la carpe, une nature morte
Le naturalisme domine en Occident depuis l’âge classique. Selon cette ontologie, les humains se distinguent du reste des êtres et des choses car ils sont les seuls à posséder une intériorité bien qu’ils se rattachent aux non-humains par leurs caractéristiques matérielles. La nature morte traduit la volonté d'objectiver le réel propre au naturalisme.
La nature morte est un genre qui se développe beaucoup au XVII è siècle. Il est tout à fait particulier dans l’histoire de la peinture mondiale. On ne fait pas de nature morte habituellement, ni avant, ni ailleurs. On en a fait un peu en Chine et un peu au Japon, mais plus tardivement. L’histoire de la peinture nous apprend que les natures mortes avaient une fonction d’édification morale : elles mettaient en avant le caractère transitoire de la vie puisque ces animaux étaient vivants et qu’ils sont morts.
Mais au-delà de cette dimension morale et symbolique, ce qui est surtout frappant dans cette nature morte, c’est la volonté de dépeindre le réel tel qu’il est, c’est-à-dire de l’objectiver. Autrement dit, de rendre objectif un monde physique en conservant le minimum de symbolisme nécessaire, avec un côté photographique. On l’a souvent souligné d’ailleurs : la peinture hollandaise du XVII è siècle, non seulement pour les natures mortes mais aussi pour les images d’intérieur par exemple était une sorte de prémisse de la précision photographique. C’est une peinture obsédée par le désir de décrire le réel dans toute sa subtilité et sa complexité par contraste avec une peinture plus allégorique, plus narrative, en particulier la peinture italienne, qui continue à raconter des histoires, tout en étant d’une grande virtuosité.
Cette entreprise d’épuiser toutes les caractéristiques du monde physique dans leur singularité, cette entreprise de description du monde de manière systématique, est tout à fait caractéristique du naturalisme. Taine disait de la peinture hollandaise « il suffit aux choses d’être pour qu’elles soient dignes d’intérêt », parce que au fond des carpes, ce n’est pas spécialement intéressant, ce n’est pas comme l’Annonciation ou bien l’Enlèvement des Sabines ou les thèmes classiques héroïques d’une grande partie de la peinture italienne.
Les carpes sont vraiment des choses banales, mais du fait qu’elle sont décrites dans toute leur chatoyante réalité, elles perdent leur banalité. Cette obsession de dépeindre et d’imiter la nature est une des caractéristiques du naturalisme. Un trait de la peinture hollandaise de nature morte est qu’il y a un désir de dévoilement anatomique : les fruits sont ouverts, les animaux sont ouverts, les poissons sont ouverts, quelque fois des horloges sont ouvertes pour en montrer le mécanisme. C’est l’idée au fond, que par cette description minutieuse, on montre à la fois l’extérieur et l’intérieur des choses.
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