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22 avril 2013 |

La mort de François Jacob

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Comme nous l’apprend Le Monde.fr (confirmant une information de Huffington Post), l'ancien chancelier de l'Ordre de la Libération Fred Moore  a révélé dimanche soir la mort, vendredi 19 avril, à l’âge de 92 ans, du biologiste et professeur au Collège de France François Jacob, co-titulaire du Prix Nobel de médecine en 1965.

Né le 17 juin 1920 à Nancy (Meurthe-et-Moselle), François Jacob entra dans les Forces française libres (FFL) dès juillet 1940. Il combattit en Libye, en Tripolitaine, en Tunisie et en France. Pour ses hauts faits d’arme, il fut nommé dans l’Ordre de la Libération et en devint même chancelier de 2007 à 2001 (ce qui en faisait protocolairement le 16e personnage de l’Etat, rappelle aussi Le Monde).

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Cette histoire, jusqu’aux découvertes qui lui valurent avec Jacques Monod et André Lwoff le Prix Nobel, est restituée par lui dans un ouvrage d’une justesse inégalée, La Statue intérieure, le premier ouvrage à ma connaissance que sa fille Odile Jacob publia aux éditions du même nom en 1987. A la création de ce Blog des Livres de La Recherche, le 11 février 2008**, nous avions placé cette initiative de réflexion commune par la lecture et l’écriture sous l’inspiration de La Statue intérieure. Nous republions plus bas ce premier billet du Blog des Livres.

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La disparition de François Jacob nous renvoie encore plus profondément dans le passé, en novembre 2002, quand nos travaux collectifs (avec Alain Chatriot) sur la politique scientifique de Pierre Mendès France et du général de Gaulle, incarnée notamment dans la création de la DGRST, nous avait conduits à intervenir sur le présent, alors que la recherche publique française vivait de profondes remises en cause de la part du pouvoir politique. Avec François Jacob et d’autres pionniers de la mobilisation scientifique des années cinquante et soixante, nous avions pris l’initiative de lancer une vaste réflexion sur l’avenir de la recherche en France. Répondant à notre demande, François Jacob nous avait adressé un texte qui constitua le point de départ de l’entreprise. Nous le publions également plus bas, ainsi que la liste des contributeurs de Quel avenir pour la recherche ? (Flammarion, 2003, 349 p., 21, 40 €).

La mort de François Jacob ramène ainsi dans la lumière du temps tout un passé que l’on croyait lointain et qui n’avait pas cessé de vivre en nous.

Vincent Duclert

*Photo AFP 1986.

**Depuis, nous avons passé le cap des 900 billets et nous fêterons les mille en juillet prochain.

Le Blog des Livres

 

Depuis le 11 février 2008, les Livres sont devenus plus importants encore à La Recherche. Il y avait déjà les Pages Livres du mensuel et des Dossiers qui se poursuivent bien sûr. Il y a désormais un « fil » continu de recensions d’ouvrages, de revues, d’articles, de dossiers, Le Blog des Livres créé à cette fin sur le nouveau site de La Recherche. Près de soixante chercheurs appartenant à toutes les disciplines - en attendant la prochaine étape de l’ouverture internationale de l’équipe - s’expriment chaque jour dans cette revue en ligne et donnent en toute de liberté des notes de lecture, des billets critiques, des réflexions inspirées d’un livre existant ou à venir. C’est la recherche en action, la recherche en devenir, la recherche dans l’espace public. Les chercheurs le savent bien : la discussion des savoirs, leur diffusion, leur vulgarisation sont indissociables de leur émergence et de leur écriture. Cette exigence critique doit s’exercer - y compris sur les conditions culturelles, sociales et politiques de la pratique scientifique. Un tel exercice est souvent l’occasion de révéler les motifs profonds de la recherche ou d’énoncer des engagements essentiels pour la science comme pour la cité – unies idéalement dans la même quête de vérité.  La rencontre des livres et des œuvres résonne enfin comme un voyage dans des paysages imaginaires ou bien réels, elle éveille des songes et des pensées plus essentielles parfois que les plus rationnels des processus. On se souviendra toujours des derniers mots de La statue intérieure de François Jacob (Odile Jacob, 1987, p. 357) :

« La neige s’était mise à tomber sur le Luxembourg. La lumière baissait, prenait des teintes blanc sale, puis gris sombre. Comme si on repliait le jour pour le ranger dans sa boîte. Pour laisser place à la nuit, à la hantise, aux rêves, aux terreurs. Quand je suis sorti du jardin, l’idée m’est brusquement venue d’une expérience à faire sur la division cellulaire. Une expérience assez simple. Il suffisait de … »

 

Vincent Duclert, EHESS, et Aline Richard, La Recherche

Responsables du Blog des Livres / La Recherche

 

 

François Jacob, « Le monde a changé », 19 novembre 2002

Longtemps, la vitalité d’une nation s’est mesurée à la puissance de son armée. Aujourd’hui, elle se reflète dans l’intérêt qu’elle prend dans ses sciences et leur développement. Longtemps, en France, les politiques ont totalement ignoré la recherche scientifique. En témoigne le mot d’un éminent personnage de la quatrième république rapporté par Elie Wollman, dans son article « la recherche est une mode ; comme toutes les modes elle passera ».

                C’est en 1936 que pour la première fois le gouvernement de Front Populaire s’est intéressé à la recherche. Sous l’impulsion de Jean Perrin, Léon Blum prit deux mesures. D’une part il institua un sous-secrétariat d’Etat à la recherche, confié à Irène Jolliot-Curie, première femme à devenir membre d’un gouvernement. D’autre part, il créa la « caisse des sciences » qui devait plus tard devenir le Centre national de la recherche scientifique.

Feu de paille. La recherche retomba vite dans l’oubli où elle resta dans la guerre et l’après-guerre. Elle ne devait en sortir qu’avec l’arrivée de Pierre Mendès-France. Nombreux étaient alors ceux qui, dans l’enseignement de la recherche, connaissaient les défauts de notre système :

- insuffisance dans de nombreux domaines,

- persistance de vieilles disciplines et absence des nouvelles,

- lourdeur de la gestion,

- autocratie des vieux professeurs,

tout cela montrait à l’évidence la vieillesse et les déficiences de notre système. Mais ni l’irritation, ni la bonne volonté, ni la révolte industrielle ne permettaient de réformer la vieille machine. Comme le démontra Mendès-France, il y fallait une volonté politique.

Au début des années cinquante, Mendès-France cherchait à esquisser le style d’une République moderne. Pour lui, la réforme politique, celle de l’enseignement et celle de la recherche scientifique étaient étroitement liées. Car c’est l’exploitation des découvertes scientifiques qui fournit le moteur de l’économie. Donc, pas de grand pays moderne sans une puissante recherche scientifique.

Près de vingt ans après Léon Blum, Mendès France recréa un secrétariat d’Etat à la recherche scientifique qu’il confia à Henri Longchambon. Mais après sept mois de gouvernement, Mendès dut quitter le pouvoir et ne put donc poursuivre les réformes nécessaires. Il en jeta cependant les bases en convoquant le Colloque de Caen. Là, un groupe de jeunes scientifiques (Lichnerowicz, Monod, Weil) et fonctionnaires (Crémieux-Brilhac, Bauer) mirent au point un programme en douze points visant à rééquilibrer l’enseignement au profit des sciences en expansion et à assouplir les structures administratives. Ainsi étaient définies les modalités d’une politique volontariste pour le développement de la recherche se combinant à une réforme des enseignements secondaire et supérieur.

Le Colloque de Caen eut lieu en novembre 1956. Tout était prêt pour que fût mise en œuvre une ambitieuse politique de la recherche. Tout sauf, une fois encore la volonté politique. La victoire du « Front Républicain » ayant amené au pouvoir non Mendès-France mais Guy Mollet, il fallut attendre 1958 et la venue du Général de Gaulle. Celui-ci arriva au pouvoir sans programme particulier pour la recherche et l’enseignement mais avec la conviction qu’une politique ambitieuse de la recherche était un composant de la politique de grandeur qu’il envisageait. Dans les recommandations du Colloque de Caen, il trouva les bases d’un projet tout prêt.

Après réflexion et discussion par de nombreux ministres et fonctionnaires, le projet fut à la source de la nouvelle politique. Celle-ci conduisit à la création de la DGRST, avec pour premier Délégué général Pierre Piganiol. Le Délégué général était en même temps secrétaire d’un comité interministériel de la recherche scientifique et technique. Ce comité de douze ministres était doublé d’un comité consultatif de la recherche composé de douze scientifiques représentant chacun une discipline.

Le Général de Gaulle suivit de près les travaux de ce « Comité des Sages ». L’un deux, Raymond Latarjet, a raconté l’anecdote suivante. Après un an de Comité des Sages, de Gaulle décida de choisir quelques sujets de recherche qui, en raison de leur intérêt particulier, recevraient des financements particuliers. Pour cela, il convoqua les douze « Sages ». Il les réunit et demanda à chacun d’eux de présenter en cinq minutes le thème de recherche qu’il lui paraissait utile de financer. Ainsi fut fait. Latarjet proposa la toute nouvelle « biologie moléculaire ». Au bout d’une heure, de Gaulle prit la parole : « On pourrait penser qu’un général fût particulièrement sensible à des projets spectaculaires dont il comprend les termes, dont il partage les points de vue, dont il envisage volontiers les développements, les conséquences, les retombées, tels que, parmi ceux que je viens d’entendre, la conversion des énergies, la conquête de l’espace, l’exploitation des océans. Mais au fond de moi-même, je me demande si cette mystérieuse biologie moléculaire à laquelle je ne comprends rien et ne comprendrai d’ailleurs jamais rien, n’est pas plus prometteuse de développements à moyen terme, imprévisibles, riches, qui feront avancer beaucoup notre compréhension des phénomènes fondamentaux de la vie et de ses désordres et qui peut-être fonderont une médecine nouvelle dont nous n’avons aujourd’hui aucune idée mais qui pourrait être la médecine du XXIe siècle ». Et la biologie moléculaire fut choisie en premier par le comité. Etonnante vision de l’avenir !

La création d’un organisme nouveau comme la DGRST correspondait au vieux principe bien français, selon lequel, plutôt que de tenter la réforme d’une vieille structure, il vaut mieux en créer une nouvelle. Ainsi, par exemple autrefois, la création du Collège de France plutôt qu’une réforme de la Sorbonne. Il n’est pas exagéré de dire que la DGRST a permis de ranimer la science en France. Elle réussit à remettre en route la recherche par des aides de toutes sortes, par ses actions concertées, par des subventions à long terme, des constructions de nouveaux laboratoires dans des domaines où il n’en existait pas, par des bourses pour les jeunes, par des colloques. Et peut-être plus encore par son style qui, à certains égards, rappelait celui de la France libre : structures légères donc efficaces, animées surtout par des volontaires plutôt que par des fonctionnaires. Peu de formulaires à remplir, de formalités à accomplir. Bref, un minimum d’administration et un maximum d’efficacité.

La naissance de la DGRST date de plus de quarante ans. Depuis, le monde a changé. Les sciences ont changé. A la structure légère de la DGRST a succédé une lourde machine ministérielle avec toute la pesanteur de l’administration. Le nombre des fonctionnaires s’est accru d’un facteur dix. La paperasse d’un facteur cent.

Aujourd’hui la science produite en France a repris une place honorable. Mais cela suffit-il ? Une puissance moyenne comme notre pays ne devrait-elle pas faire mieux ? Si nous avons d’excellents domaines de recherche, nous avons cessé d’être présents dans certains secteurs dont le nombre ne cesse de croître. Or le siècle qui s’annonce va être avant tout un siècle scientifique. Et scientifique, ici, veut dire avant tout recherche fondamentale. Depuis dix ou vingt ans, les pouvoirs publics et les industriels de ce pays privilégient la recherche appliquée. C’est une politique à courte vue. Il ne peut y avoir d’applications et de technologie vraiment puissantes sans une recherche fondamentale vraiment puissante. Et la tendance actuelle ne va pas dans ce sens.

Il est grand temps de redéfinir une nouvelle politique de la recherche, amarrée à l’Europe, et d’en trouver les moyens. Mais, comme on l’a vu, rien ne peut se faire sans une volonté politique. Le développement de la recherche scientifique qui, pour une bonne part, commande notre avenir, devrait faire l’objet d’un long débat au cours de la prochaine campagne électorale. A l’heure actuelle, on n’en voit guère les signes précurseurs.

 

 

 

 

Quel avenir pour la recherche ?

Sous la direction de Vincent Duclert et Alain Chatriot

 

 

Préface de :

 

Jean-Louis Crémieux-Brilhac, François Jacob, Pierre Joliot,

Jean-Claude Pecker, Pierre Piganiol et Alain Touraine

 

 

Textes de :

 

Pierre Baruch, Jean Baubérot, Jean Bernard, Christophe Bonneuil, Christian Bréchot, Philippe Busquin, Jean-Pierre Causse, Christophe Charle, Alain Chatriot, Pierre Cognard, Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Boris Cyrulnik, Jean-Didier Dardel, Renaud Dorandeu, Diane Dosso, Vincent Duclert, Sylvie Epelboin, Yves Escoufier, Maurice Godelier, Michel Gondran, Gérard Grunberg, Anita Guerreau-Jalabert, Bertrand Hervieu, François Jacob, Pierre Joliot, Rose-Marie Lagrave, Pierre Lelong, François de Lignac, René Marzocchi, Gérard Mégie, Marie-Christine Meininger, Jean-Yves Mérindol, Luc Montagnier, Michel Morange, Daniel Nordman, Pierre Papon, Jean-Claude Pecker, Dominique Pestre, Pierre Piganiol, Olivier Postel-Vinay, Françoise Praderie, Gabriel Ruget, Alain Schnapp, Frédéric Sgard, Peter A.J. Tindemans, Alain Touraine, Philippe Wacrenier.

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