Une tombe au creux des nuages
Parmi les collections de poche que pilote Flammarion, « Champs » présente une forte activité éditoriale en mettant à disposition d’un large public les publications du groupe Flammarion et les ouvrages dont les droits sont achetés aux maisons qui ne disposent pas de collections de poche. Un ensemble des conférences données en Allemagne par Jorge Semprun, publié originellement en espagnol puis traduit par les éditions Climats (dépendant du groupe Flammarion), est arrivé en « Champs » à l’automne dernier. Ecrivant aussi bien en français qu’en espagnol, Semprun a détourné l’expression de Thomas Mann prononcé dans son exil d’Allemand antinazi (« la patrie d’un écrivain, c’est la langue ») par : « la patrie d’un écrivain, c’est le langage ».
L’ultime texte d’Une tombe au creux des nuages. Essais sur l’Europe d’hier et d’aujourd’hui (328 p., 8 €), est consacré au soixantième anniversaire de la libération et de la fin de l’extermination des Juifs d’Europe. « Dans dix ans, souligne-t-il, lors de la prochaine commémoration solennelle de la découverte des camps de concentration nazis, alors que notre mémoire de survivants se sera épuisée, car il n’y aura plus de survivants, et que la transmission de cette expérience sera devenue impossible, au-delà du travail certes nécessaire mais insuffisant des historiens et des sociologues, il ne restera que des romanciers ». Semprun s’expliqua sur ce rôle qu’il estimait supérieur des écrivains : « Seuls les écrivains, s’ils se décident librement à s’approprier cette mémoire, à imaginer l’inimaginable, à rendre littérairement vraisemblable l’incroyable vérité historique, seuls les écrivains pourront ressusciter la mémoire vivre et vitale, notre vécu (Erlebnis), alors que nous serons morts. » Cette assertion pose aux savants la question de leur pouvoir de transmission malgré tout.
Vincent Duclert
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