16 et 17 juillet 1942. Rafle du Vél d’Hiv à Paris
Commémorant dès son entrée en fonction la Rafle du Vél d'Hiv' qui amena la police française, sous les ordres de René Bousquet et de son adjoint Jean Leguay, à arrêter et livrer à l’occupant nazi 13 152 juifs dits apatrides, le président de la République trouva les mots justes pour évoquer une dette imprescriptible de la France à l’égard de ceux qu’elle enlevait à la vie et au monde. « La France, patrie des Lumières et des Droits de l'Homme, terre d'accueil et d'asile, la France, ce jour-là, accomplissait l'irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux » (15 juillet 1995).
Ce discours dont on sait qu’il a été rédigé par Christine Albanel, à l’époque conseillère de Jacques Chirac, est historique en ce sens qu’il atteste d’une part de la connaissance des historiens sur la complicité de Vichy dans la Solution finale et qu’il rompt de l'autre avec la vulgate selon laquelle, du général de Gaulle à François Mitterrand, la France n’était pas comptable de ce crime d'Etat puisque Vichy n’était pas la France. On ajoutera que le prédécesseur de Jacques Chirac ne sembla pas excessivement préoccupé par cette honte nationale puisqu’il continua d’entretenir avec son ami René Bousquet des relations assez étroites au point de le convier à déjeuner chez lui en 1974, puis de le recevoir à l’Elysée après 1981. Le 17 juillet 1994, toutefois, François Mitterrand inaugura un monument commémoratif de la rafle du Vél d'Hiv, en bordure du quai de Grenelle.
Les familles raflées les 16 et 17 juillet 1942 furent d’abord enfermées au Vélodrome d’Hiver, dans la XVe arrondissement de la capitale, tandis que les célibataires et les couples sans enfants étaient internés à Drancy. Séparés de leurs parents, plus de 4 000 enfants furent conduits au camp de Beaune-La-Rolande avant d’être ramenés sur Drancy et déportés à Auschwitz dans des convois composés d’adultes. Les autorités d’occupation ne souhaitaient pas à l’origine que les enfants soient compris dans les rafles. René Bousquet et Jean Legay décidèrent de les inclure afin d’augmenter le nombre de juifs arrêtés, de peur que leur nombre soit inférieur à celui que les Allemands avaient exigé. Pierre Laval souhaitaient également l’arrestation et la déportation des enfants juifs dont la plupart étaient français, nés sur le territoire national, tandis que leurs parents étaient légalement accueillis en France. On peut dire qu’avec leur arrestation par la police française et leur internement dans des conditions inhumaines, l’ignominie collective et le déshonneur national atteignirent des sommets. Il est nécessaire que la France se souvienne de ces heures où elle oublia toutes ses valeurs et livra à l’ennemi, pour qu’il les extermine, des étrangers et des enfants français dont la seule faute était que Vichy les reconnut comme juifs et anticipait les exigences allemandes.
Les contemporains avaient perçu le caractère extrême de la violence exercée sur des populations déjà éprouvées par peur et la précarité. Le journal d’Hélène Berr, jeune étudiante de la haute bourgeoisie intellectuelle juive de la capitale, témoigne d'une terreur absolue précipitée sur une population. Le 15 juillet, elle note que « quelque chose se prépare, quelque chose qui sera une tragédie, la tragédie peut-être. » Les Français n’imaginent même pas que d’autres Français puissent être responsables de la rafle et de l'internement. Hélène Berr relève, à la date du 18 juillet, « qu’au Vél d’Hiv, où on a enfermé des milliers de femmes et d’enfants, il y a des femmes qui accouchent, des enfants qui hurlent, tout cela couchés par terre, gardés par les Allemands. » Le 19 juillet, elle écrit encore : « M. Boucher a donné des nouvelles du Vél d’Hiv. Douze mille [en réalité près de huit mille] personnes y sont déjà enfermées, c’est l’enfer. Beaucoup de décès déjà, les installations sanitaires bouchées, etc. » Le 21 juillet, toujours. « Autre détails obtenus d’Isabelle : quinze mille hommes, femmes et enfants au Vél d’Hiv, accroupis tellement ils sont serrés, on marche dessus. Pas une goutte d’eau, les Allemands ont coupé l’eau et le gaz. On marche dans une mare visqueuse et gluante. Il y a là des malades arrachés à l’hôpital, des tuberculeux avec la pancarte “contagieux” autour du cou. Les femmes accouchent là. Aucun soin. Pas un médicament, pas un pansement. On n’y pénètre qu’au prix de mille démarches. D’ailleurs, les secours cessent demain. On va probablement tous les déporter ».
Il faut lire le Journal d’Hélène Berr (Tallandier, 2008, et Seul, coll. « Points », 2009, 333 p., 7 €), écriture d’une vie en sursis qui refuse de rien céder de l’essentiel. Son auteure sera arrêtée le 7 mars 1944 avec son père Raymond, vice-président directeur général des usines Kuhlmann et sa mère Antoinette, et déportée à Auschwitz le 27 mars, jour de ses 23 ans. Elle meurt à Bergen-Belsen en avril 1945, quelques jours avant la libération du camp, atteinte du typhus, battue à mort par une gardienne.
Vincent Duclert
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