Un adieu qui dure
Quand j'ai reçu le Journal d'un adieu de Pietro Scarnera (Editions Ca et Là, 80 p., 13€), je l'ai ouvert pour jeter un coup d'oeil. Une bande dessinée, ça se feuillette rapidement pendant une pause. Dans les premières pages, le narrateur, un tout jeune homme, visite son père, dans un grand hôpital. Il doit d'abord attendre, puis s'habiller avec une blouse, une charlotte, des sur-chaussures. Le père est en service de réanimation, dans le coma après une attaque cardiaque.
Décembre 1983 : mon père est hospitalisé en soins intensifs dans un hôpital parisien spécialisé dans les maladies infectieuses. Il est victime d'un staphyllocoque doré multirésistant contracté dans un autre hôpital. Pour le voir, il faut, là aussi, enfiler une tenue spéciale. Plusieurs semaines, et une opération à cœur ouvert plus tard, il s'en sortira. Décembre 1985 : pendant un peu moins d'une semaine, mon père est dans un autre hôpital, dans le coma.
Je n'y pense pas souvent. Mais les premières pages du livre de Pietro Scarnera ont fait brusquement ressurgir ce passé. Ce n'était ni le moment ni le lieu : j'ai mis le livre de côté et j'ai repris mon activité initiale.
J'ai attendu quelques jours pour revenir à cette lecture. J'ai alors suivi d'une traite l'interminable attente de l'auteur du Journal d'un adieu, de l'hôpital à la maison de long séjour, les tentatives pour attirer l'attention de celui qui est allongé et ne bouge pas, les rencontres, les cauchemars du fils. Jusqu'à la fin, après 5 ans de vie végétative.
Les neurologues ont fait d'immenses progrès dans la compréhension des états que l'on regroupait autrefois sous le vocable général de « coma ». Ils parviennent dans certains cas à détecter des traces de conscience chez ces patients, dont l'on peut ainsi prendre soin de façon plus adéquate. Mais leur apport est limité. Comme le rappelait le 28 juin dernier Lionel Naccache, de l'université Pierre-et-Marie-Curie à Paris, lors du Forum Science Recherche et Société, un test de conscience ne peut révéler que ce qui se passe pendant sa réalisation. Si l'on détecte des traces de conscience, c'est qu'il en existe. Si, a contrario, on n'en détecte pas, la seule conclusion est qu'il ne s'en est pas produit à ce moment là.
Bien souvent, les familles restent donc désarmées face à ces situations. Comment ne pas espérer, devant quelqu'un dont on voit bien qu'il respire, qu'il bouge éventuellement les yeux? Et en même temps cette personne dont le visage, comme l'écrit (et le montre) justement Pietro Scarnera, semble celui d'un autre, n'est-elle pas déjà morte ? Ne vaudrait-il mieux pas commencer le travail de deuil ? Chaque cas, sans doute, est particulier.
Ce récit n'a pas de prétention exemplaire. Il est issu de l'expérience personnelle de l'auteur, nous dit la deuxième de couverture. Je peux juste témoigner qu'il sonne juste.
Luc Allemand
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