La grande mutation des atlas de France
Le concept d’ « Atlas » a beaucoup évolué dans ces dernières années, en relation avec la dynamique des sciences sociales assumant la spatialisation des phénomènes, la nécessité d’étudier les espaces et de restituer sur ce plan le produit des recherches. Deux récentes publications témoignent de cette mutation scientifique qu’accompagnent résolument les maisons d’édition. Si cartes, croquis et documents sont toujours largement présents, leurs usages se sont profondement transformés.
Publié l’année dernière chez Autrement qui a développé un puissant secteur d’atlas, le copieux volume (318 p. 35 €) du Grand Atlas de l’histoire de France soutient des perspectives fortes, affirmant que « pour comprendre l’histoire d’une nation, il faut suivre la formation de son territoire, [...] la construction d’un espace politiquement organisé ». Ainsi élaboré, poursuivent les trois auteurs, Jean Boutier, Olivier Guyotjeannin et Gilles Pécout, « cet atlas se veut un instrument puissant de compréhension du présent, non pas seulement au niveau national, mais plus encore au niveau européen. Au début de la IIIe République, la grande pédagogie nationale de l’école primaire avait livré un inventaire systématique de la diversité française, pour mieux faire vivre ensemble des gens très différents. Il nous revient désormais de comprendre la diversité des nations européennes, plus encore leur hétérogénéité spatiale qui rend difficile leur mise en continuité. Alors que nous sommes conduits à réfléchir sur ce que seront les espaces politiques de demain, il devient indispensable de comprendre comment les espaces politiques dans lesquels nous vivons, et nous pensons, se sont constitués, dans la longue durée. [...] Regarder la France, de l’extérieur et aussi de plus loin, ne signifie nullement froideur ou critique. C’est ainsi en un espace peut-être étrange qu’est né ce livre, au contact d’historiographies différentes, avec le souci de répondre aux interrogations des Français mais également de tous ceux qui, quoique étrangers, cherchent les raisons de leur attirance ou de leur antipathie. Comme si la distance suscitait aussi la rêverie. »
En collection « NRF Essais » chez Gallimard vient de paraître L’invention de la France des démographes et historiens Hervé Le Bras et Emmanuel Todd, sous-titré Atlas anthropologique et politique 519 p., 25 €). Il s’agit de l’édition augmentée (d’un chapitre final sur « la crise idéologique et politique actuelle ») d’une recherche publiée en 1981 en collection Hachette-Pluriel par l’éditeur Georges Liébert. Cette étude avait mis en lumière l’hétérogénéité des Français et son rôle moteur dans la construction de la France, dans son « invention ». Le contexte de parution de la première édition s'inscrivait dans « la montée du racisme, et, plus spécifiquement, de l’antisémitisme. [La France] se perçoit comme fiévreuse, angoissée. Ses craintes d’alors sont sans fondement sérieux. Sa structure anthropologique très particulière ne lui permet pas la xénophobie. Le racisme, dans ce patchwork de mœurs et de coutumes qu’est la France, trouve un mauvais terrain ». Pourtant, la même obsession rebondit trente ans plus tard. « Les fantasmes politiques ont le cuir dur, soulignent Hervé Le Bras et Emmanuel Todd. Que l’homogénéité française soit un mythe n’empêche aucunement en 2012 que l’idéologie dominante s’apparente à une sorte de programme de défense d’une homogénéité menacée, ou, chez les plus radicaux, au rêve d’un retour à une homogénéité perdue. Les défenseurs autoproclamés de l’identité nationale ne comprennent pas l’histoire de leur propre pays. Osons le dire : ils sont aveugles à la subtilité et à la vérité du génie national qui combine unité de projet et gestion pragmatique de diversité ». L'étude de ce mouvement propre à la France, mais aussi aux sociétés modernes, s’enrichit de nouvelles analyses concluant sur des menaces autrement plus sérieuses comme la « désintégration de la classe ouvrière », la « mutation sarkozyste de la droite française », ou bien l’ « atomisation croissante de la société française ». Recréer du lien social pour reformer du lien politique, telle est la lecture possible, et nécessaire de cet « Atlas anthropologique et politique » de la France.
Vincent Duclert
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