Les phares, tout un monde
Voici un petit livre de la fameuse collection « Découvertes » Gallimard, mais grand par son sujet et le traitement qu’en offre l’auteur, grâce à sa merveilleuse écriture et aux images choisies. Ceux qui connaissent Vincent Guigueno ou le suivent à travers ses recherches, savent sa passion pour la mer, la Bretagne * et les phares. Il en a fait son métier en tant qu’actuel responsable du patrimoine « Phares et balises » à la Direction des affaires maritimes du ministère de l’Ecologie, il en a fait des livres (Au service des phares, Presses universitaires de Rennes, 2001 ; Phares, 2005 ; Les plus beaux phares de France, 2011), il en fait des expositions comme celle, à venir, du musée national de la Marine (7 mars-4 novembre 2012) ou bien celle que constitue l’ouvrage dont nous parlons, les phares, gardiens des côtes de France (128 p., 13,20 €) et plus encore, conservatoire des imaginaires, des techniques, des politiques, et des lumières étendues sur les mers et les océans sans que jamais ces étoiles viennent
s’éteindre.
Sur une carte de France montrant, de nuit, le chapelet des phares, s’ouvre une citation de Jules Michelet très à propos : « C’est la France, après ses grandes guerres, qui prit l’initiative des nouveaux arts de la lumière et de leur application au salut de la vie humaine. Armée du rayon de Fresnel [...], elle se fit une ceinture de ces puissantes flammes qui entrecroisent leurs lueurs, les pénètrent l’une par l’autre. Les ténèbres disparurent de la face de nos mers. Pour le marin qui se dirige d’après les constellations, ce fut comme un ciel de plus qu’elle fit descendre. » C’est ainsi que Guigueno emprunte du tableau du vieil historien pour évoquer successivement l’ambitieuse politique française des phares et balises au début du XIXe siècle à même de rattraper voire de dépasser l’orgueilleuse Angleterre, le visionnaire Service des phares, ses ingénieurs intrépides, son savoir-faire, l’industrie de l’optique qui illumine Paris, et puis ceux qui servent au sens d’héroïques soldats jusqu’à leur retraite avec l’automatisation des feux en mer, le développement des systèmes de localisation par satellites et la centralisation des moyens au sein des CROSS, « version hexagonale des Marine Rescue Coordination Centers ». La révolution électronique n’a pas fait disparaître la nécessité de continuer d’éclairer les côtes de France et d’ailleurs, le naufrage du Costa Concordia le soulignant à l’envi, tragiquement.
Enfin, un dernier chapitre, remarquable, illustre et démontre à la fois la place si importante que les phares occupent dans les imaginaires individuels, collectifs, nationaux. Guigueno s’attache à ces images qui ont redonné vie aux phares et balises, au moment même où ceux-ci perdaient leur âme en entrant dans le monde de l'automatisation, telle la photographie de Jean Guichard, prise en mer d’Iroise le 23 décembre 1989, et qui a servi d'illustration de couverture pour l'ouvrage de 2005 : « elle montre le gardien du phare de la Jument, sortant sur le chemin de ronde tandis qu’une vague monstrueuse déferle sur la tour ». Cette position sur l’extrême front fera que le repli des combattants pour cause d’automatisation provoquera un fort malaise chez les gardiens de phare, particulièrement dans les phares de la mer d’Iroise qualifiés d'« enfers » par opposition aux phares à terre (les « paradis ») ou dans les îles (les « purgatoires »). La contestation sera si profonde que Le Canard enchaîné titrera, en 1995 : « Le pouvoir balise » !
Vincent Duclert
*Il est quand même le seul chercheur parisien à porter en tout temps le réglementaire pull marin breton.
You can follow this conversation by subscribing to the comment feed for this post.