Des villes sans librairies ?
Revenu d'un séjour à New York, j’ai découvert le triste destin des librairies de la métropole monde. Certes, quelques indépendantes continuent de survivre, notamment vers Greenwich Village ou à Brooklyn, en relation avec les étudiants ou New-Yorkais éclairés qui s’y pressent encore. Mais, dans le reste de la ville, il n’y a plus guère de librairies indépendantes, celles-ci ayant été détruites par la montée en puissance des mégastores type Barnes & Nobles (le premier réseau aux Etats-Unis) ou Borders (le deuxième). Et voici que ces chaînes hyper-capitalistes dont les magasins se comptent par centaines sont elles-mêmes en difficulté. New York est particulièrement touché.
Borders a annoncé le 18 juillet sa mise en liquidation judiciaire et la fermeture de ses 399 magasins (en plus des 200 déjà fermés pour raisons économiques). Aussitôt d’immenses pancartes ont été apposées sur les vitrines, signalant la vente de tout le stock avec rabais substantiels. Les clients se sont rués dans les rayons tandis que les 11 000 employés se demandaient ce que leur avenir sera fait demain. Les logiques de marché rattrapent à leur tour cette entreprise prédatrice fondée en 1971. On mesure les dégâts qu’a impliqués son développement puisque la fermeture des magasins laissera de nombreuses villes moyennes sans librairies, la firme ayant fait le vide autour d'elle pour grandir. Et il n’est pas sûr que les libraires indépendants puissent revenir dans les quartiers dont elles avaient chassées tant les loyers sont devenus maintenant exorbitants. Fleuriront surtout des banques, des pharmacies et des boutiques de vêtements.
La chute de l’empire Borders n’en est pas moins un coup dur porté à la commercialisation du livre et donc à sa survie. Et cela d’autant plus que le numéro 1, Barnes & Nobles, ne se porte pas très bien. L’un de ses magasins emblématiques, sur 5 niveaux, a fermé à l’angle de Brodway et de Colombus, sur la 66e rue, à quelques pas de Lincoln Center. Le New York Times a écrit à ce sujet, perfide : « Even category killers are not immune to market forces » (30 août 2010). Un magasin de vêtements remplacera la librairie, « Century 21 ».
Barnes & Nobles résiste mieux cependant grâce au développement de son format numérique (le fameux « Nook » opposé au « Kindle » d’Amazon), grâce à sa présence sur les campus (comme sur celui de Columbia à New York) au travers de partenariats avec les universités et les colleges qui lui assurent un public captif, grâce à son site d'achat en ligne. On dit même Apple intéressé par la firme, laquelle a annoncé en août 2010 qu'elle se mettait en vente avec ses 720 magasins répartis dans 50 Etats.....
Y aurait-il, dans ce contexte inquiétant, place pour un regain de la librairie indépendante ? C’est ce que laisse entendre Pierre Assouline sur son blog (« La République des livres »), dans un billet informé du 24 juillet (http://passouline.blog.lemonde.fr/2011/07/24/bye-bye-borders/ ). Il y évoque l’American Booksellers Association (ABA) et son soutien à la réouverture de librairies de quartier. Le concept reste néanmoins à inventer, à l’heure du commerce en ligne et du livre numérique. Mais c’est un défi à relever, pour les livres, pour le tissu urbain et la vie civile, pour la culture savante et populaire. Cela ne concerne pas seulement les Etats-Unis. Si la France voit ses librairies indépendantes survivre à la FNAC ou aux hypermarchés (le prix unique du livre y est pour beaucoup), celles-ci sont confrontées elles aussi au commerce en ligne, au livre numérique et aux nouvelles formes de sociabilités imposées (ou proposées) par le web.
Vincent Duclert
La photographie (merci le NYTimes fr du 1er septembre 2010 : http://www.cityrealty.com/new-york-city-real-estate/carters-view/century-21-reportedly-replacing-barnes-noble-66th-street-broadway/carter-b-horsley/34442 ) montre le building au bas duquel s’étendait depuis 15 ans le mégastore Barnes & Nobles, au carrefour du Lincoln Center, dans le quartier d’Upper West Side.
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