La mort d'Elena Bonner
Elena Bonner est morte à Boston à l’âge de 88 ans, des suites d’une longue maladie. Médecin soviétique, pédiatre renommée, femme du physicien et prix Nobel de la Paix (1975) Andreï Sakharov disparu en décembre 1989, « figure majeure des droits de l’Homme en Union soviétique » comme l’écrit Le Monde * mais pas seulement puisqu’elle n’a cessé de lutter pour les libertés dans la nouvelle Russie. En 1988, elle compta avec son mari parmi les membres fondateurs de l’association Mémorial, qui devint l'un des principaux contre-pouvoirs démocratiques au système poutinien. Elevée par sa grand-mère en l’absence de ses parents déportés dans les camps staliniens, elle affirma très tôt une grande indépendance de caractère et une détermination sans faille à combattre la tyrannie soviétique. L’expérience du tragique lui donna une conscience très claire des valeurs à défendre. Elle osa quitter le PCUS après l’invasion de la Tchécoslovaquie et défendit les dissidents victimes des procès politiques de l’ère Brejnev. C’est en assistant à l’un d’eux (le procès Pimenov-Weil), à Kalouga, qu’elle rencontre le « père de la bombe atomique » soviétique devenu lui-même militant des droits de l’homme. Lui conserva un souvenir très vif de leur première rencontre, chez un avocat de la défense : « je trouvai chez lui une belle femme à l’allure énergique et grave. [...] Un an plus tard, Elena devint ma femme (je l’appelle Lioussia, comme on l’appelait dans son enfance et come l’appellent tous ses proches et amis ; partout dans ce livre je l’appelle par ce prénom) », écrit Sakharov dans ses Mémoires publiés aux Etats-Unis et immédiatement traduits en France par les éditions du Seuil (par Alexis et Wladimir Berelowitch, avec Dominique Legrand pour les passages scientifiques).
Ces Mémoires, véritable monument de physique nucléaire et de combat démocratique, accueille tout un chapitre consacré à cette femme d’exception. Sakharov raconte la vie de celle qui allait devenir sa femme et pour qui il éprouva un amour total. Il s’intéressa particulièrement à son histoire avant qu’elle ne partage sa vie. On y apprend que Lioussia, à l’âge où elle put avoir un passeport, choisit son nom, celui de sa mère, en même temps que son prénom, « Elena, le prénom d’Elena Insarova dans A la veille de Tourgueniev ».
Quand Sakharov fut exilé en 1980 à Gorki pour avoir dénoncé l’invasion de l’Afghanistan, elle fut son seul lien avec le monde extérieur jusqu’au moment où, en 1984, elle fut à son tour exilée pour activités « antisoviétiques » dans cette ville interdite aux étrangers. Le 16 décembre 1987, Mikhael Gorbatchev gracia le couple qui put regagner Moscou. Dédiés « à Lioussia », les Mémoires d’Andrei Sakharov s’achèvent sur l’évocation de cette dédicace : « Que nous soyons ensemble, elle et moi, voilà l’essentiel. »
Vincent Duclert
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