Eurasie. Au coeur de la sécurité mondiale
Le parti islamo-conservateur AKP a remporté pour la troisième fois consécutive, hier 12 juin 2011, les élections générales en Turquie, améliorant même son score de 2007 (de 46,6% à 49,9%). Cependant, avec 326 députés, il ne réussit pas le pari que s’était donné son leader charismatique et actuel premier ministre Recep Tayyip Erdoğan de conquérir les deux tiers des sièges de députés (367) ce qui lui aurait permis de pouvoir modifier la constitution en dehors de la voie référendaire, ni même les 330 sièges l’autorisant alors à soumettre à référendum une réforme votée par le Parlement. Il perd 15 sièges sur la précédente législature du fait de la bonne tenue des autres partis, le CHP social-démocrate (25,9% qui progresse de cinq points), le BDP pro-kurde (6,6 %, plus un point) et le MHP ultra-nationaliste (13%) qui ne recule que d’un point alors que la révélation bien à propos de scandales sexuels avait décapité la direction du parti et qu’ Erdoğan avait multiplié les déclarations très nationalistes afin de siphonner son électorat. Le maintien au Parlement (53 députés) de ce parti d’extrême-droite apparaît paradoxalement comme un gage de démocratie, non que ce parti soit démocratique. Mais sa présence dans le jeu parlementaire empêche la domination de l’AKP et assure le débat politique nécessaire à toute modification de la constitution ou refonte constitutionnelle *. La majorité des deux tiers à l’AKP aurait transformé le Parlement en chambre d’enregistrement des volontés d’Erdoğan et de ses proches en vue de transformer la République turque en régime à pouvoir présidentiel fort, comparable au système poutinien par exemple.
Cette dernière référence rappelle la place que la Turquie occupe dans la géopolitique de l’Eurasie s’étendant de l’Europe centrale à la Chine, de la Russie au Moyen-Orient arabe : celle-ci a été récemment étudiée par le spécialiste de relations internationales Gaïdz Minassian dans un ouvrage collectif qu’il a dirigé aux éditions Autrement, Eurasie. Au cœur de la sécurité mondiale (coll. « Frontières », 315 p., 23 €). Le cas de la Turquie est très emblématique de la constitution de cet ensemble puissant d’Etat-Nations, concurrent de l’Europe et même alternative montante dans la quête de puissance et de développement. L’Europe est-elle en train de perdre, avec la Turquie qui s’éloigne d’elle, une possibilité majeure d’agir sur ce monde eurasiatique en pleine recomposition ? Il est vrai que la Turquie fait aussi le choix d’un système de pouvoir de plus en plus autoritaire. Erdoğan ne tolère plus la contestation et la critique. Il promeut l'autoritarisme comme modèle de gouvernement et en fait la réclame auprès de ses électeurs. La thèse d'un islamisme compatible avec la démocratie suscite aujourd'hui de sérieuses interrogations. Le petit parti démocrate, qui avait obtenu 5,5% des voix aux élections de 2007, a été laminé dans les urnes. Pourtant, l’activité démocrate des intellectuels et des mouvements de la société civile est demeurée très forte depuis plus d’une décennie, notamment à Istanbul. Celle-ci risque de devenir encore plus difficile. Elle est pourtant essentielle à l’évolution de la société turque dont la diversité culturelle, religieuse, ethnique, sociale ne peut plus s’accommoder des formules autoritaires – qu’elles soient laïques ou religieuses.
Vincent Duclert
* Voir les intéressants commentaires livrés par le politiste Jean Marcou sur le site de l’Observatoire de la vie politique turque (http://ovipot.hypotheses.org/5721 )
Rédigé par : Karasan | 13 juin 2011 à 12:25
L'autoritarisme d'Erdogan concerne surtout l'armée qui avait la main mise sur l'Etat depuis plus de 50 ans.
Lorsque tous les indicateurs économiques sont au vert, que le pouvoir d'achat augmente, que la Turquie se hisse progressivement parmi les grandes puissances de la planète,que l'armée reste une bonne fois pour toute dans ces casernes sans "toucher le pouvoir"... de quoi pourrait-on se plaindre?
Dans l'histoire politique turque aucun parti n'a pu oeuvrer avec autant d'application et de réussite.
Le gagnant de ces élections c'est le peuple turc et la Turquie. Sans aucun doute!