Aventures préhistoriques
J’ai eu le privilège de lire, en avant première, Le meneur de meute, dernier tome de la trilogie Neandertal dessinée et écrite par Emmanuel Roudier et publiée par les éditions Delcourt. Emmanuel Roudier, outre Neandertal, est le scénariste et le dessinateur de la belle néandertalienne Vo’Houna (dont on espère que l’on pourra lire bientôt la fin de l’aventure). Neandertal raconte l’histoire d’un Néandertalien, Lagou, de la tribu des Torses rouges qui quitte son clan pour une quête riche en rebondissements et en rencontres avec d’autres groupes de Néandertaliens possédant des caractéristiques, des connaissances spécifiques de leur environnement, des traditions parfois très différentes des siennes (mais toujours une capacité d’accueil assez remarquable). Toutes ces différences deviendront complémentaires grâce et par Lagou et une jeune néandertalienne Mana, une presque (ou future) chaman de la tribu de la Lune.
Lagou souhaite, au départ de sa quête, acquérir une arme puissante (presque magique) indispensable à son désir de vengeance. Après le décès accidentel de son père, tué par un bison légendaire, Longue Barbe, son frère Kozamh a en effet aussi été victime de l'animal, avec la complicité de ses autres frères Huor, Gohour et Feydda (ce dernier est particulièrement cruel et rusé, et désireux d’être le chef de chasse de son clan). Lagou, excellent tailleur d’éclats moustérien (avec un mode de débitage Levalllois, que nous montre en détails Emmanuel Roudier), est aussi diminué physiquement. Il n’est donc pas un chasseur de grand mammifère et n’accompagne pas ses frères dans cette activité, ce qui lui a valu d'être épargné. Mais désireux de venger le meurtre par procuration de Kozamh, il n'a de cesse de tuer Longue Barbe, pour démontrer ses capacités de chef de chasse et acquérir ainsi le respect de tous les membres de sa tribu.
Je ne vais naturellement pas raconter le déroulement de l’album, la fin de la quête. La créativité d’Emmanuel Roudier lui permet de développer une histoire où le lecteur trouvera beaucoup d’intérêts et de détails, de paysages préhistoriques. Je préfère plutôt aborder un point qui caractérise aussi l’auteur, à savoir son réel intérêt pour les résultats des sciences préhistoriques qu’il n’hésite pas à inclure dans ses histoires et sans que cela l’empêche de laisser libre court à son imagination. Il faut naturellement et aussi aller voir son blog où il discute souvent ces résultats.
Ainsi, Lagou – Néandertal aurait été le premier à apprivoiser, un peu accidentellement, des canidés (des loups). Car Lagou est aussi curieux et sensible. Il est intéressant de rappeler que certains scientifiques ont proposé récemment que des canidés aient été apprivoisés dès l’Aurignacien donc par les premiers Hommes modernes européens peu de temps après la disparition des Néandertaliens. Lagou va aussi très vite comprendre et réaliser plus profondément - que bien de ses contemporains - que tous les membres d’un clan peuvent être utiles, que les compétences sont complémentaires et qu’alors l’irréalisable est à porté du courage et de l’action commune. Ainsi, l’intelligence, la réflexion, l’apprentissage, l’entraînement servent mieux les objectifs que l’on s’est fixés que la vengeance qui, même si elle est juste, n’est pas toujours couronnée de succès. Hommes et canidés uniront ainsi leurs forces qui serviront la vengeance de Lagou (qui restera clément mais ne reculera pas devant la pression de son clan).
A la fin de l’album, les expériences de toutes les quêtes permettront à Lagou de proposer aux différents clans qu’il a rencontrés une alliance nouvelle, un partage des alliances (Lagou et Mana sont amoureux l’un de l’autre et Lagou partira vivre dans la tribu de Mana), des rassemblements de clan afin d’échanger les savoirs (et les gènes)… Ce melting pot moustérien a peut-être existé comme pourraient l’indiquer l’incroyable richesse archéologique de certaines régions privilégiées comme par exemple la vallée de la Vézère entre Montignac et Le Bugue…
Dans Le meneur de meute, ce sont les hommes qui quittent leur clan pour rejoindre celui de leur compagne (sauf quand la dite compagne est enlevée). Emmanuel Roudier anticipait ainsi, dans son scénario (souvent l’imagination des artistes va plus vite que la nécessaire réflexion cartésienne des scientifiques), une discussion suscitée par des résultats particulièrement intrigants - qu’il faudra confirmer - obtenus par l’équipe de C. Lalueza-Fox et publiés dans les Proceedings of National Academic Sciences of USA en janvier 2011. Ces chercheurs ont analysé l’ADN mitochondrial de 12 Néandertaliens, et l’ADN du chromosome Y des sujets masculins du même site : El Sidrón en Espagne. Résultats : les sujets masculins descendraient de la même lignée maternelle alors que les sujets féminins représenteraient des lignées maternelles distinctes. Ainsi, selon ce travail ce serait les femmes néandertaliennes qui quittaient leur clan pour aller dans celui du ou des pères de leurs enfants.
Bruno Maureille, Laboratoire PACEA, Bordeaux
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