Sciences. com : Libre accès et science ouverte
Une « cyberguerre » se développe-t-elle depuis que le créateur du site WikiLeaks a été arrêté par la police anglaise ? Les attaques massives contre des sites institutionnels ou financiers liés à la procédure en cours contre Julian Assange tendraient à le démontrer. Elles représenteraient aussi la riposte aux tentatives de fermeture des moyens de paiement de WikiLeaks. Derrière ces affrontements d’un nouveau type se profilent des enjeux idéologiques qui portent souvent sur la question du libre accès. Les débats qui se développent mobilisent des registres d’expression militants autour des notions de biens publics. Mais, comme le souligne Pierre Mounier dans le dernier numéro de la revue Hermès de l’Institut des sciences de la communication du CNRS et publié par CNRS Editions, « la très grande visibilité de ces débats occulte deux éléments qui pourraient en relativiser la portée. L’analyse du développement des initiatives de libre accès montre que la dimension politique de la question est loin d’être prédominante dans toutes les disciplines et varie considérablement selon les communautés. Par ailleurs, les modifications profondes que le développement des réseaux numériques entraîne dans les pratiques de communication scientifique pourraient rendre moins pertinente l’approche volontariste et militante du libre accès. La multiplication du nombre de documents disponibles, l’effacement relatif des frontières entre les différents modes de publication, l’abaissement des barrières d’accès à la publication contribuent à relativiser la portée des dispositifs de fabrication de rareté artificielle et à soumettre progressivement le système de communication scientifique à un régime d’économie de l’attention. » (« Le libre accès : entre idéal et nécessité »).
Ces réflexions concernant les débats sur les ressources numériques, les contributeurs de cette livraison d’Hermès les dirigent vers le domaine des sciences ouvertes et de l’édition électronique. Valérie-Laure Benabou pose la question du choix entre libre accès et libre recherche pour les publications scientifiques, tandis que Florence Audier réfléchit aux publications « ouvertes » en termes de « coopération ou concurrence ». Une étude intéressante concerne Wikipedia, que Lionel Barbe qualifie de « trouble-fête de l’édition scientifique ». Pour lui, résume-t-il, « Wikipedia est devenue en quelques années un outil de diffusion d’informations scientifiques de premier plan, utilisé par élèves, professeurs et chercheurs (parmi ces derniers, un sur dix reconnaît y contribuer). Malgré un système d’édition relativement complexe, le "wiki de la connaissance" a gagné en popularité (15 millions d’articles, 270 langues, 100 000 contributeurs bénévoles). On en sait davantage sur son fonctionnement : son taux d’erreur factuel est relativement similaire à celui de l’encyclopédie payante Britannica ; les articles sont souvent rédigés par un petit nombre de contributeurs (5 % des contributeurs sont à l’origine de 90 % du contenu) ; une série d’"administrateurs" jouent les pompiers ou les gendarmes, non sans s’attirer les foudres d’une partie des contributeurs ; dynamique communautaire et positionnement identitaire sont les deux motivations principales pour contribuer ; les sources scientifiques sont d’autant plus citées dans Wikipedia qu’elles le sont déjà dans le monde scientifique (le "facteur d’impact" est involontairement reproduit)… Comparée à ses concurrents, Citizendium et Knol, l’encyclopédie contributive se démarque par son développement insolent, mais l’éventualité d’une stabilisation du nombre d’articles (on assiste aujourd’hui à une sorte de plafonnement) laisse imaginer qu’à l’avenir les contributeurs se concentreront davantage sur la qualité des articles. » (Hermès, n°57, octobre 2010, 240 p., 25 €).
Vincent Duclert
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