A l'épreuve des totalitarismes
Avec A l’épreuve des totalitarismes (1914-1974), le troisième volet de sa grande enquête sur « l’avènement de la démocratie » (Gallimard, coll. « Bibliothèque des sciences humaines », 663 p., 24 €), Marcel Gauchet donne un ouvrage d’une grande profondeur qui va au cœur de son sujet. La victoire des démocraties sur les totalitarismes a été celle du politique qui leur a donné les forces de vaincre un ennemi bien supérieur – notamment parce qu'il s'était identifié à la guerre totale. Elles ont gagné parce qu’elles ont su se transformer de « fond en comble », parce qu’elles ont répondu à l’appel du sursaut et de la lucidité que Raymond Aron avait lancé le 17 juin 1939 dans sa fameuse conférence de la Société française de philosophie sur « Etats démocratiques et Etats totalitaires ». Pour Marcel Gauchet, « là où les totalitarismes ont échoué dans leur prétention folle de reconstituer l’unité religieuse à l’intérieur et avec les éléments de la modernité, les démocraties ont réussi à lui substituer l’unité par le politique. C’est cette relève de la forme religieuse par la forme politique qui assuré leur victoire finale dans cette lutte de géants qu’elles avaient paru si longtemps condamnées à perdre. Le parti de l’avenir n’était pas celui qu’on croyait. » Les démocraties ont trouvé en elles l’antidote au projet totalitaire, ce qui n’avait rien d’évident au vu de leur fragilité, de leurs faiblesses si souvent dénoncées. Elles ont su tourner « la page de la tentation totalitaire ». Passer par l’âge des totalitarismes, par « l’ère des tyrannies » selon l’expression d’Elie Halévy qui fut en 1936 l’un des premiers analystes, permet de comprendre en dernier ressort la vertu de la démocratie. Marcel Gauchet poursuit ici un dossier capital autrefois interrogé par Elie Halévy, Raymond Aron puis Claude Lefort et François Furet.
Vincent Duclert
You can follow this conversation by subscribing to the comment feed for this post.