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06 octobre 2010 |

Psychopathologie des profondeurs

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Dans Vision Aveugle, roman qui l’avait révélé au public francophone, le Canadien Peter Watts avait déjà confiné dans l’espace exigu d’une capsule spatiale un beau panel de désaxés : un vampire, survivant d’une sous-espèce prédatrice que l’on croyait éteinte ; une femme aux personnalités multiples ; un homme rendu incapable d’empathie après l’ablation d’un de ses hémisphères cérébraux, etc. Avec Starfish (traduit de l’anglais par Gilles Goullet, Fleuve Noir, 2010, 360 p., 21 €) , il réitère cette angoissante combinaison de claustro-phobie, de psychopathologie et d’ivresse des espaces aussi infinis qu’inconnus, mais en ramenant l’étrangeté à une échelle terrestre. Biologiste marin de formation, l’auteur s’est employé à imaginer dans les failles abyssales une post humanité composée d’inadaptés et de traumatisés, cobayes modifiés par la bio ingénierie pour respirer au fond des océans et résister aux pressions intenables qui y règnent, afin d’assurer la maintenance de stations géothermiques sous-marines. Après une douloureuse phase d’adaptation à cette immensité ténébreuse et hosti-le, ces « rifteurs », improbable échantillon de déviants, d’écorchés vifs, de sado-masochistes et d’asociaux, semblent offerts à une forme de rédemption amphibie. Mais les nouvelles de la surface, qui nous parviennent par bribes comme à ces travailleurs du fond de la mer, ne sont guère rassurantes et menacent ce nouvel équilibre précaire.

L’écriture de Peter Watts est aussi dérangeante et nerveuse que dans Vision Aveugle, où il mettait déjà un humour glacé au service de son étrange paranoïa désabusée. Premier volet d’une trilogie qui s’annonce sous les meilleurs auspices, Starfish est cependant long à en mettre en place les éléments, et on peut lui reprocher le défaut de beaucoup d’œuvres de « hard SF », qui noient trop sou-vent le lecteur sous un flot d’informations et de jargon. On se régale pourtant des notes rassemblées à la fin de l’ouvrage, où Watts prend un malin plaisir à se jouer de la frontière entre possible et probable. Car il pratique en virtuose l’art clé de tout auteur de hard SF qui se respecte, celui de singer le discours scientifi-que pour rendre plausibles les pires extravagances*. Un auteur à suivre de très près et qui promet de marquer le genre de son empreinte.

Ivan Kiriow

* Il faut voir par exemple sur son site internet la parodie savoureuse et effrayante d’une communication savante sur l’Homo Sapiens Vampiris imaginé pour Vision Aveugle, qui n’épargne pas les dérives de l’industrie pharmaceutique et les dangers d’une « science sans conscience » :

http://www.rifters.com/blindsight/vampires.htm

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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