Le liseur
Le film réalisé par Stephen Daldry * a remis en lumière, comme classiquement avec le cinéma, le roman qui a fondé son scénario, à savoir Le liseur de l’allemand Bernhard Schlink, paru en 1995 et traduit l’année suivante aux éditions Gallimard par Bernard Lortholary (coll. « Folio », 1999-2009, 245 p., 6 €). Le réalisateur et le scénariste (David Hare) sont assez fidèles au livre. Ils décrivent précisément cette génération perdue des enfants du nazisme ** et cette thématique du handicap – l’analphabétisme en l’occurrence – qui conduit l’héroïne du roman, Hanna Schmitz, à opter à l’époque nazie pour une carrière de gardienne SS dans les camps de la mort puis, vingt ans plus tard, à refuser de faire valoir la vérité lors de son procès en raison de la honte qui l’attachait à cette infirmité : elle déclare sous serment avoir écrit un rapport accablant, un aveu qui précipite sa condamnation aux plus lourdes peines alors que ses co-accusées, toutes aussi coupables, s’en sortent beaucoup mieux qu’elle.
Le narrateur du livre et du film a assisté au procès comme jeune étudiant en droit (il deviendra par la suite historien du droit). Il sait que Hanna Schmitz, qui fut sa maîtresse lorsqu’il avait quinze ans et qui l’initia à l’amour, était incapable de lire et d’écrire. Il ne dit rien finalement, considérant qu’elle avait droit au secret sur son secret. En prison, en lui adressant des cassettes de livres qu’il lut pour elle – comme au temps de leur amour, mais aussi au temps de son service dans les camps où elle faisait lire des femmes déportées avant de les envoyer à la mort -, il lui permit de vaincre l’analphabétisme et d’accéder à l’écriture puis à la lecture. Elle put alors apprendre dans les livres ce qu’avait représenté le système d’extermination nazi auquel elle avait contribué – poussée par son impossibilité à surmonter son handicap.
Le film et plus encore le livre exposent à petites touches cette forme de rédemption de la même manière qu’ils soulignent l’importance de la justice pour comprendre les motivations des bourreaux et plonger dans la vérité de leurs actes autant que de leurs responsabilités. Ceci est exposé de manière particulière, décalée, puisque ce n’est pas le procès de Hanna Schmitz qui permit d’atteindre ce but, mais plutôt la relation interrompue de cette femme et de cet homme hanté par son amour d’adolescent. Il n’y a pas d’excuses à la violence passée de l’ancienne gardienne de camp, il y a seulement la conviction de Bernhard Schlink que la compréhension des ténèbres les plus obscures de l’âme humaine permet de conjurer la logique inexorable des bourreaux et de la destruction des faibles. Tout cela devait être dit et écrit, et le roman s’achève du reste sur l’aveu, par le narrateur, du projet d’écrire le livre de cette histoire, ce que le film ne révèle pas, bien à tort car la volonté de communiquer une telle vérité aurait permis de desserrer quelque peu l’atmosphère oppressante voulue par le cinéaste. En plus, le romancier propose à la génération qu'il veut incarner une voie pour surmonter le nazisme de leurs parents. Ce qui n'est pas rien.
Vincent Duclert
* L’un des producteurs du film était Sydney Pollak, décédé en août 2008.
** Voir le passage p. 189.
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