Vous êtes sur BLOGS > le blog des livres

 

17 juillet 2009 |

Contre mes seuls ennemis

Blog jarry Les pratiques et les enjeux du travail scientifique peuvent donner matière à une écriture de fiction. Isabelle Jarry en apporte la preuve dans son dernier roman (Contre mes seuls ennemis, Stock, 208 pages, 17 €),

qui se déroule dans un futur proche (2025) au cœur d'un « vrai » laboratoire, le Centre de Microbiologie du Sol et de l'Environnement (CMSE) de Dijon. Il n'était pourtant pas question de fiction quand la Mission d'anticipation Recherche/Société & Développement durable de Institut National de la Recherche Agronomique (INRA) a convié l’écrivain à suivre l’installation de ses chercheurs dans un bâtiment flambant neuf. Le laboratoire est le personnage principal du roman né de cette rencontre. Les humains qui l’habitent sont des chercheurs en microbiologie des sols : Basile Archimède, un jeune chercheur aux idées iconoclastes, spécialiste des bactéries pathogènes du sol, affectionne particulièrement les galeries techniques, représentées en vert sur le plan du CSME. Fraîchement recruté, il est notre guide dans un univers étrange – un monde de chercheurs – qui devient franchement inquiétant quand un mystérieux champignon – ou bien est-ce un virus, une bactérie – s’insinue par toutes les gaines et tous les conduits du bâtiment, jusqu’à le rendre insalubre.

Il y a des vrais « morceaux » de microbiologie dans le texte d’Isabelle Jarry. Avec pédagogie, comme un savant parlant au profane, elle use de la langue des sciences pour expliquer ce qui aspire la vie de ses personnages. Isabelle Jarry mobilise sans effort une grande culture scientifique : docteur en biologie, elle a publié en 1990 une biographie consacrée à Théodore Monod. Depuis son premier roman, L’homme de la passerelle (Seuil, 1992) elle a su s’écarter avec bonheur du champ scientifique dans des fictions intimes. Récemment, elle a uni l’écriture romanesque et La Traversée du désert (Stock, 2008), dans un récit aux temporalités enchevêtrées consacré à un aventurier anglais, le major Alexander Laing, qui découvrit Tombouctou avant Roger Caillé, disparaissant ensuite dans de mystérieuses circonstances.

Isabelle Jarry se révèle également une excellente ethnologue de la vie de laboratoire, dont nous savons bien, depuis les travaux de sociologues comme Bruno Latour, qu’elle ne baigne pas dans l’harmonie d’une cité scientifique parfaite : « Apparemment, tout fonctionnait parfaitement, mais dès qu’on observait les gens de près, on comprenait qu’ils allaient un peu de travers » (p. 99). Proverbiales colères du directeur du deuxième étage, Volodia Terskoff, course à la publication, amours cachés, ici entre Basile et sa belle et brillante collègue Jacinthe : Isabelle Jarry tend aux chercheurs un miroir à peine déformant du mélange d’enthousiasme intellectuel et de médiocrité humaine qui fait le sel de la vie de laboratoire. La palme de l’effet de réel revient au collègue étranger en décalage horaire permanent, ici Jang, le coréen en thèse sur les mycorhizes mixtes, au bord de la crise de nerfs, mais qui renouera in fine avec la sagesse asiatique.

Dans le sauve qui peut général accompagnant la prolifération du virus, les fissures physiques du bâtiment provoquent un éclatement du corps social des chercheurs. Echappant au naufrage, Basile et Jacinthe font du Centre le théâtre de leurs amours et de leurs recherches, qui doivent les mener au firmament de la microbiologie. La fin du livre est une sorte d’apocalypse dans laquelle Isabelle Jarry quitte l’ethnologie pour une épistémologie prospective, rêvant d’une nouvelle alliance entre la science et la nature, une « grande métamorphose » qui nous mettrait à l’écoute du vivant. Vincent Guigueno

Réagir / Réactions

Commentaires

Flux You can follow this conversation by subscribing to the comment feed for this post.

 

Je partage ce qu'écrit Vincent Guigueno à propos du cadre du roman d'Isabelle Jarry. Toutefois, un bon décor ne fait pas un bon livre, et on a plus l'impression de lire l'ébauche d'un texte encore à travailler. On trouve des maladresses et des inhomogénéités surprenantes, ainsi que nombre de fausses pistes de toutes sortes. Peut-être l'auteur s'est-elle trop préoccupée de l'ambiance générale, au détriment du scénario. Bref, c'est quand même décevant.

 

A nos lecteurs,
Depuis quelques jours, le Blog des Livres s'écrit en noir et bleu. Ce défaut technique ne sera bientôt plus qu'un souvenir....
Cordialement.
Vincent Duclert

L'utilisation des commentaires est désactivée pour cette note.