Uchronie et histoire
Pure coïncidence ou symptôme de la crise actuelle, l’uchronie n’a jamais suscité autant d’engouement. Éric B. Henriet, chimiste de son état, passionné par ce genre dont il est devenu un spécialiste, publie
http://www.lefigaro.fr/livres/2009/02/12/03005-20090212ARTFIG00459-cinq-historiens-s-amusent-a-reinventer-le-passe-.php ). Les résultats sont inégaux et le format nous laisse un peu sur notre faim, mais les idées de départ, les « points de convergence », ces « et si… » par où tout commence, sont variés et parfois inattendus. Certains mériteraient même d’être développés à la dimension d’une nouvelle, voire d’un roman.
De leur côté, les éditons Pyrémonde continuent d’enrichir de nouveaux titres le catalogue de leur collection « Uchronie » (voir le post du 05/08/08), qui accueille même sa première œuvre originale, Ave Cæsar imperator, composée par Jean-Pierre Laigle, auteur et éditeur de science-fiction (2008, 150 p., 16,95 €. Le livre est dédié à un certain Éric Henriet…). Mobilisant un savoir encyclopédique (qui rend difficile l’abord du roman, et d’autant plus salutaire l’index joint !), il emprunte un chemin frayé et un schéma caricatural, qui a beaucoup perdu de sa force subversive depuis le temps où Renouvier l’inaugura dans Uchronie : la pérennisation de l’Empire romain, qui empêcherait la mainmise du christianisme et ferait faire à l’Europe l’ « économie » du Moyen-Âge… Mais le point de convergence choisi est quant à lui plus original : l’Empire est en effet sauvé du chaos par les descendants d’Arthur (Artus) de Bretagne, qui, au lieu de périr à Camlann, y a triomphé de l’envahisseur Saxon.
En mêlant ainsi la légende arthurienne et l’histoire de la Décadence (« redressée » par la dynastie bretonne !), cet auteur érudit se délecte, et nous avec lui, du côté ludique et enthousiasmant de l’uchronie, quand elle daigne rester un passionnant jeu de l’esprit et de l’imagination. Mais le genre a aussi sa face sombre, soulignée en son temps par Emmanuel Carrère : le refus de l’inéluctabilité du réel, le ressentiment devant le fait historique accompli. Ceci expliquerait notamment ce qui reste le talon d’Achille de la collection « Uchronie » et de la littérature uchronique en général : la récurrence des mêmes obsessions, en particulier la (non-)chute de l’Empire romain (l’Uchronie, de Renouvier, et — chez d’autres éditeurs — Roma Æterna de Robert Silverberg ou La cité de Satan de Fabien Clavel) et, surtout, celle de Napoléon Ier (pas moins de 7 titres sur les 10 parus ou à paraître dans la collection de Pyrémonde !). Les petits « scénarios » proposés par Le Figaro le montrent : les historiens ne sont pas immunisés contre ces affects uchroniques ! Mais ils pourraient au moins contribuer à en diversifier les champs d’expression.
Ivan Kiriow
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