L’Ecole des hautes études en sciences sociales, à laquelle j’appartiens, se caractérise au sein de la mobilisation contre les réformes

par au moins quatre données qui en font un objet tout à fait particulier. D’abord il y a le choix d’une partie de ses enseignants de faire de la « grève savante » en s’investissant dans « Changeons de programme ! ». Il s’agit de modifier le contenu des enseignements en exposant la situation des enseignants-chercheurs, de la recherche, de l’enseignement, en examinant les modèles étrangers, en analysant la situation au jour le jour. Ce sont les sciences sociales en action, en situation. Cette application de la pensée critique constitue aussi, en général, le quotidien des chercheurs dans leur enseignement.

Deuxième donnée d’importance, celle qui concerne cette fois la fin du mandat de l’actuelle présidente de l’EHESS, la sociologue des religions Danièle Hervieu-Léger, et l’élection début mars, de son successeur (elle a annoncé qu’elle ne se représentera pas). Actuellement, des débats sont organisés autour des élections, et ces débats sont bien évidemment « reconfigurés » par le mouvement des chercheurs et des universitaires.

La troisième donnée porte sur l’annonce faite par l’actuelle présidente de l’Ecole, d’abord devant le Conseil scientifique de l’établissement puis dans un long message sur l’intranet « tlm », de son soutien aux réformes (même si, a-t-elle précisé, elle s’est sentie, « comme beaucoup, agressée par le ton inutilement brutal et chargé de mépris » du discours de Nicolas Sarkozy du 22 janvier qui l'avait par ailleurs citée). Son engagement prend un relief particulier puisqu’elle préside également le Comité de pilotage de la stratégie nationale de recherche et d’innovation. D’interne à l’EHESS, sa position est devenue un fait public. Le journaliste de Libération Silvestre Huet en a fait un post de son blog (http://sciences.blogs.liberation.fr/home/2009/02/les-dsarrois-de.html ) et le quotidien Libération a rapporté le propos de la présidente (édition du 10 février 2009).

Dernière donnée. C’est l’existence à l’EHESS de cet intranet atypique, le « tlm » qui signifie « tout le monde ». Toutes les personnes disposant d’une adresse « ehess.fr sont en mesure de recevoir les messages de la liste et d’en émettre. C’est un lieu où circule une abondante information nullement hiérarchisée, où éclatent de vives controverses entre collègues, où les lettres ouvertes se multiplient, où certains abonnés revendiquent l’expérimentalité pour aller loin dans l’expression, et où, bien sûr, les débats sur le mouvement croisent ceux des élections à la présidence (bien qu’une liste dédiée ait été créée pour ces derniers). C’est du reste une bonne source d’information pour des blogs comme celui de Silvestre Huet, lui-même promu aujourd'hui par un des abonnés du « tlm ». Et bien sûr, le programme « Changeons de programme ! » est présent sur la liste aux côtés des annonces classiques de séminaires et de l’information. Le « tlm » constitue un caractère original de cette école pour les sciences sociales. Mais la distinction des savoirs demeure problématique. C’est toute la question des catégories qui est posée.

Vincent Duclert