Les Essais d’Émile Meyerson
La désormais célèbre collection « Corpus des œuvres de philosophie en langue française », créée par Michel Serres en 1984 et hébergée par Fayard jusqu’en 2005, est reprise dorénavant par les Éditions Universitaires de Dijon, dans une présentation plus sobre (une couverture souple remplace la reliure solide qui conférait aux ouvrages comme une promesse de longévité) mais moins onéreuse. Parmi les nouveaux titres proposés, Les Essais d’Émile Meyerson (1859-1933) (dont le passionnant traité De l’explication dans les sciences de 1921 avait déjà reçu les honneurs du « Corpus » chez Fayard) constituent une bonne introduction à l’œuvre de ce penseur injustement méconnu (texte établi par Bernadette Bensaude-Vincent, Corpus/EUD, 2008, 20 €).
Composé par Meyerson lui-même peu de temps avant sa mort et publié à titre posthume en 1936 par les soins de Lucien Lévy-Bruhl, ce recueil constitue en effet comme le testament philosophique de son auteur ; mais il récapitule surtout son parcours atypique, en marge des institutions (ingénieur chimiste de formation puis pigiste-traducteur pour l’agence Havas, il n’obtiendra jamais de poste universitaire en tant que philosophe et historien des sciences) malgré la reconnaissance et l’admiration que lui valurent ses travaux parmi les plus éminents intellectuels de son temps. Si la section consacrée à ses tout premiers articles, traitant de points très précis d’histoire de la chimie, intéresseront surtout les spécialistes, les autres témoignent de la démarche du philosophe depuis Identité et Réalité (1908), jusqu’à Du cheminement de la pensée (1931) : inclure ses analyses épistémologiques, issues de recherches minutieuses d’histoire des science et d’une connaissance érudite des grands textes de la philosophie, dans un projet plus vaste de psychologie et d’anthropologie. Pour Meyerson, si la science est la gloire de l’intelligence humaine, elle n’est pas, dans son essence, différente du « sens commun », et l’étude de ses raisonnements (y compris de ses errements, d’où une attention alors rare pour les théories fausses ou abandonnées) est une voie d’accès privilégiée à celle du fonctionnement de l’esprit. C’est pourquoi il mérite d’être lu en dehors du cercle des spécialistes des sciences, et Du cheminement de la pensée (qui marque le plus nettement le passage de l’épistémologie à la psychologie), d’être réédité à son tour dans le « Corpus ». *
Ivan Kiriow, Centre Koyré
* Le visuel de l'ouvrage auquel est consacré ce post étant indisponible, nous publions à la place un portrait photographique d'Emile Meyerson provenant du fonds de son neveu Ignace Meyerson (site université Paris 12). Nous annonçons par ailleurs à nos fidèles lecteurs le retour à l'orthodoxie visuelle du blog (une image par post) ; les images plus nombreuses accompagnant le texte de certains posts s'expliquaient par la fameuse et néanmoins réelle "licence estivale"... Vincent Duclert
Rédigé par : Ivan Kiriow | 29 août 2008 à 19:34
Je viens d'apprendre dans un article de Frédéric Fruteau De Laclos (un des rares spécialistes de Meyerson en France) sur "Emile Meyerson et les science humaines" (paru l'année dernière dans les "Archives de philosophie" et consultable sur internet à l'adresse suivante : http://www.cairn.info/revue-archives-de-philosophie-2007-3-page-355.htm) qu'il préparait une nouvelle édition du "Cheminement de la pensée", à paraître chez Vrin. Si l'intéressé lit ce "post" et son commentaire, nous serions curieux d'avoir des nouvelles de ce projet, et impatients de le voir aboutir !