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01 août 2008 |

Les enfants de la post-modernité

Blog_otaku Les éditions Hachette Littératures traduisent pour la première fois en France l’étude du phénomène « Otaku » réalisé par le philosophe japonais Hiroki Azuma (Génération Otaku, les enfants de la post-modernité, 189 p., 18€). Le terme Otaku recouvre l’ensemble des personnes qui se passionnent pour la bande dessinée, le dessin animé, les jeux électroniques, la science fiction – ainsi passés au crible de l’analyse. L’ouvrage propose des pistes d’interprétation de cette culture « Otaku », plus généralement symbolisée notamment par le phénomène Manga considéré comme représentatif des jeunes post-modernes. Du reste, comprendre la société japonaise sans prendre en considération la culture Otaku serait une erreur. Cette analyse permet en retour de s’initier et/ou de mieux saisir ce phénomène qui s’exporte aujourd’hui en Europe et en France. Souvent connoté négativement – le terme Otaku étant associé à l’idée de la perversion et de la déviance sociale dans les années 1970, l’aversion tend désormais à se transformer par un engouement positif signe du postmodernisme : perte de repères, critique sociale, violence et espoir d’un autre monde. Le manga n’est pas que violent et il est loin d’être réservé aux enfants. Ce sont des idées reçues. On lit Jiro Taniguchi et son Quartier Lointain, on se passionne pour les aventures du docteur Tenma dans Monster de Naoki Urasawa ou plus récemment de The 20th Century Boys et ses visions apocalyptiques, d’autres apprécieront la réflexion sociale de Battle Royale de Takami et Taguchi. S’agit-il d’un simple phénomène de mode ? Le philosophe invite à une réflexion sur ce qu’il considère comme un véritable phénomène de société qui touche toutes les classes sociales et toutes les générations grâce à un prix bon marché et à la diversité des sujets abordés. A Paris, les librairies spécialisées prolifèrent, les Fnac parisiennes proposent elles aussi ses rayons pour nous faire découvrir le meilleur de la diversité des mangas que l’auteur considère comme porteur d’un espoir : celui de « permettre l’avènement d’un nouvel âge qui autoriserait une critique plus indépendante et plus riche » (p.186). J’en profite ainsi pour recommander aux (futurs ?) amateurs de mangas la lecture de L’homme sans talent de Yoshiharu Tsuge qui nous raconte le parcours désabusé et ironique d’un mangaka – un auteur de manga …

Lynda Sifer Rivière, EHESS (Cermès)

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Commentaires

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Tout d’abord, je vous remercie vivement pour votre commentaire très juste et pour toutes les questions qu’il soulève. Je vais toutefois tenter de vous répondre, moins pour vous contredire que pour tenter de poursuivre le débat large … qui j’insiste démarre à partir d’un post sur le phénomène otaku.

Je vais donc tout de suite me positionner dans cette génération postmoderne : a priori élevée plutôt dans le pays de Candy « qui comme dans tous les pays, on s'amuse on pleure on rit, il y a des méchants et des gentils », le pays du « beau » Albator et dans l’univers de Goldorak … Autant dire déjà qu’il semble ainsi y avoir plusieurs profils d’enfants de la postmodernité en France puisque tous les deux nous déclarons « avoir été élevé » avec tels ou tels dessins animés … sauf qu’à l’époque, on oubliait de signaler que Candy était un dessin animé manga, et que Dragon Ball Z un poil « plus violent » lui en était un … et « Oh la la la », les parents découvraient alors ce genre et regrettaient les jolis dessins animés, avec les gentils d’un coté et les méchants de l’autre … regrettant le marchand de sable, Nicolas et Pimprenelle, ou Chapi Chapo … Car ils éduquaient positivement les enfants … Ne s’agit-il pas de cette question aussi dans le fond … ?

Bref, pour poursuivre le débat, il me semble que l’on évoque assez régulièrement et avec « étonnement » dans les médias cette génération de trentenaire qui organise des nuits Mangas pour regarder tous ensemble une sélection d’épisodes d’Ulysse 31, Albator, Capitaine Flam, etc. … J’évoque donc ici un genre de manga, un genre qui a fortement pénétré la culture française ! Ensuite, il s’agit ici d’un post concernant une étude intéressante sur le phénomène Otaku, que j’ai plus ou moins volontairement orienté vers un style particulier du manga. Effectivement, comme vous le dites, le manga aère et ne nécessite pas toujours initialement un effort considérable de concentration. C’est, me semble t’il, la force du manga … les messages sont multiples, ils donnent à discuter et la violence qui y est décrite n’y ait pas décrite gratuitement. C’est du reste mon point de vue et peut être naïvement, j’aime à croire que la lecture n’est jamais une lecture au premier degré – même si c’est bien de ce premier degré que l’analyse démarre.

Pour reprendre le fameux Battle Royale, dont le manga est encore bien plus violent que les adaptations cinématographiques, il est assez impossible de ne pas voir la réflexion de fond proposée sur la société, en l’occurrence le Japon. Il est difficile de réduire la lecture aux « méchants parents » qui laissent s’entretuer leurs enfants ( - encore qu’à bien y regarder, ne dit-on pas de nos parents qu’ils nous ont laissé une société qui dysfonctionne et où il est difficile de faire « mieux » que nos parents, … pour faire vite : l’ascenseur social est en panne …) Selon l’auteur, la culture Otaku, c’est aussi et surtout une recherche permanente de démonter l’invisible, le caché, l’ambigu, le non-dit …. – il en va alors tout autant de la sexualité, de la violence que de la douceur. Battle Royale est aussi une critique des médias, et de l’évolution des jeux dans la société : et ce n’est pas un hasard que l’auteur du manga est choisi la période de scolarisation obligatoire. C’est la société toute entière qui y est critiquée : les parents, mais aussi l’institution scolaire, les professeurs, les médias, les rapports entre les individus, etc. … Jusqu’où sommes nous prêts à aller pour un objectif assez vague : être le premier ? Le gagnant de ce jeu gagne en effet le statut de « citoyen modèle » ! ….après avoir assassiné tous ses camarades. Alors, il y a du sang, du sexe et du sang (dans le manga original), de l’épée, du caillou, du pistolet …et encore du sang qui gicle ! Est-ce vraiment plus violent que la fable sur l’inhumanité du quotidien développée dans le film le Couperet de Costa Gavras ? (où un homme tue logiquement et méthodiquement tous ses concurrents pour retrouver du travail …mais avec moins de sang) Faire couler le sang à flot n’est il pas aussi un support de prise de conscience de la violence – de sa visibilité : ? Elle parait gratuite, j’ai moi-même du mal personnellement à la « regarder » mais tout cela signifie des choses … Je n’ai pas de réponses, je n’ai que des questions et cela sans faire l'apologie de la violence ( qui est souvent la remarque que l'on peut vous faire quand vous tentez de comprendre le sens de ce mises en scène ... ) Et votre commentaire montre bien que quelque part, le simple fait d’évoquer cette étude permet un débat (je n’ai reçu par exemple aucun commentaire sur mes post-précédents : plaidoyer pour la démocratie participative ou encore peut-on penser sans angoisse ?) Cela pose des questions sociales importantes. Dire que Battle Royale est « ultra violent » (j’en conviens) ne m’apparaît pas comme une conclusion mais comme un point de départ … en ce sens, ce genre modifie aussi les points d’entrée du raisonnement …

Pour revenir à l’ouvrage d’Hiroki Azuma, la faiblesse repose – à mon avis, sur le fait que le phénomène Otaku est composé de « produits » otaku divers et variés. Il analyse pêle-mêle le contenu iconographique, architectural, linguistique, etc. de la culture Otaku (qui dépasse donc le manga : jeux vidéos, dessins animés, etc.) et les ruptures qui en découlent. L’intérêt de l’ouvrage est de déplacer un petit peu les points de vue et d’orienter autrement le débat. Le propos de l’auteur est bien de rappeler que ce qui est considéré comme postmoderne, vient après le moderne et pas nécessairement dans son prolongement. Effectivement, on (surtout les médias) a tendance à souvent considérer – en France mais à lire l’auteur au Japon aussi, les otakus comme des personnes aux problèmes « psys », fuyant la réalité sociale. Or, rien ne permet d’affirmer que les otakus ne distinguent pas la réalité de l’imaginaire et pour citer le philosophe « leur décision de ne pas choisir la réalité sociale est donc une option sociale … réaliste » Le phénomène naît selon lui parce que les valeurs de la société ne conviennent plus et qu’ils sont « contraints » d’en élaborer de nouvelles. Pour ce faire, ils détruisent les modèles par la mise en visibilité de l’inhumanité de ces modèles. Les grands récits seraient remplacés par des fictions. Sur ce point précis, je ne partage pas l’avis du philosophe. La série me semble à certains égards correspondre à une nouvelle forme de « grands récits » postmodernes, aux fonctions alors très différentes … on éduque par là même aussi au non sens de nos sociétés ! : ?

J’ai donc essayé de répondre sur le thème de la violence porté par le manga. Le genre est plus diversifié … Je voudrai aussi revenir sur un dernier point que vous citez : celui de la chaîne manga … via le satellite, que je n’ai pas ! Néanmoins, vous me dites « sans trop de sang » … et j’ai pensé tout de suite – peut être à tord, « chaîne pour enfants » et chaîne concurrente de la chaîne Disney. Alors, j’ai pensé aux travaux de Bettelheim qui dans Psychanalyse des contes de fées démontre comment la lecture joue un rôle essentiel dans l’éducation et la socialisation. En explorant l’univers des contes de fées dans le but de mieux saisir leurs fonctions et de leur redonner la place qu’ils ont tenue dans le passé, l’auteur montre que le conte de fées est optimiste (les gentils ?) et raconte l’histoire de n’importe qui. La fonction est celle du rêve … il a pour but de rassurer et est donc particulièrement bien adapté à l’âge enfantin : croire au possible … (il l’oppose notamment, dans mes souvenirs, au mythe, plus pessimiste puisqu’il comporte une fin tragique et qui recouvre des événements qui ne peuvent s’appliquer à tous). A quand la Psychanalyse des mangas ? … les mangas qui éduquent alors différemment (permettant aussi d’expliquer pourquoi Love Story a fait un « bide » en France …) Les genres cohabitent, ne substituent pas forcément les uns aux autres, s’approprient différemment selon les pays. Il n’en demeure pas moins que le phénomène dépasse désormais ses frontières géographiques d’émergence. Je citerai par exemple l’histoire très triste de Youn-Bok (Chagrin dans le ciel), l’histoire vraie des difficultés d’un enfant coréen pour faire vivre sa famille … aussi une manière de découvrir l’autre … ici la Corée … qui dans sa différence évoque probablement les difficultés de n’importe quelle famille « pauvre ». Un manga qui n’est pas sans rappeler « Rémy sans famille » …

La représentation du phénomène me semble ensuite une autre question … Ce n’est pas un hasard si en France, le genre manga semble acquérir ses lettres de noblesses avec Taniguchi, très européen (il affirme lui-même avoir été influencé par la littérature russe et européenne). D’ailleurs, il n’y a qu’à lire L’élégance du hérisson de Muriel Barbery … qui contribue à faire connaître le genre à travers la petite Paloma qui à moins de 18 ans fait côtoyer Taniguchi avec Tolstoï ! Le succès de l’ouvrage (du reste dans l’annonce de ses ventes ….) participe à influencer implicitement un autre regard sur le manga. Et puis, « oui », il existe bel et bien de nombreuses librairies qui se spécialisent dans le manga et la BD (les boutiques Album par exemple) notamment dans le 5ème et le 13ème arrondissement. Vous me direz qu’il s’agit ici de lieux élitistes et confidentiels. Il se développe aussi des cafés mangas dans de nombreux arrondissements de Paris, à Bordeaux et à Toulouse (pour ce que je peux connaître personnellement) où il est alors possible de lire des mangas dans un canapé tout un après midi … Ce serait dommage de limiter l’impact de ce phénomène à des initiés, de le réduire à aujourd’hui (alors qu’il semble avoir démarrer dès les années 1970 en France grâce, entre autres, au club Dorothée ! - une histoire reste ainsi faire ... ), de trier de manière française le très bon et le très mauvais … ce qui est lisible ou non lisible, ce qu’il faut lire ou ne pas lire …. Et de détourner ainsi l’idée initiale portée par les pionniers du manga … : la liberté d’expression et rendre visible l’invisible à n’importe quel prix ! (au Japon et ailleurs dans le monde … j’évoque ici « l’animal en réseau » - et l’analyse d’Azuma sur les jeux vidéos)

Ainsi « Merci » à votre commentaire « libre » qui suscitera un intérêt certain, je l’espère, à nos lecteurs.

 

Votre article donne envie de lire cette étude sur la culture manga ! Ca m'intéresse d'autant plus que je fais partie de la génération qui a été élevée à travers Dragon Ball Z et qui a vécu de plein fouet l'arrivée des mangas, au milieu des années 90...

Je vous avoue cependant, mais cela n'engage que moi, que je reste sceptique quand à l'impact de cette culture en France,car je pense que cet impact est bien différent au Japon et dans les pays asiatiques... Où le manga est devenu une religion, où les premières écoles de mangakas voient le jour...
Reconnaissons que l'essentiel des mangas en France se vend aux jeunes de moins de 18 ans, qu'il s'agit en général de best sellers, partagés entre deux ou trois éditeurs... De quels mangas s'agit-il ? DBZ est toujours disponible en kiosque, les jeunes s'arrachent les aventures de Sayuki, etc.

Ces ouvrages font en général preuve d'un manichéisme simpliste, avec les bons d'un côté et les méchants de l'autre, le sabre reste l'arme de prédilection car vecteur optimal d'hémoglobine... Bon de temps en temps les bons ne savent plus trop s'ils sont gentils (les méchants le restent en général)...Histoire de montrer que dans la vie rien n'est simple (sans blague) et que le côté obscur de la force nous guette toujours.

Il est évident que la culture manga ne se limite pas à ça, et que la culture japonaise offre un panel beaucoup plus large, riche et intéressant. Mais reconnaissons qu'en France, ce sont essentiellement les avatars les plus simplistes de cette culture qui connaissent un véritable succès, et c'est dommage. Bien sûr, des ouvrages plus poussés, plus critiques, plus sérieux existent, mais ils ne connaissent qu'un public confidentiel et qui risque de le rester.

Il suffit de voir qui lit les mangas chez Gibert ou à la fnac pour voir que la "critique constructive" voulue par l'auteur en question ne se fera pas, chez nous, par le manga. Sans doute parce qu'elle peut passer par d'autres supports. Ce qui passe par le manga au Japon s'exprime sans doute autrement en France.

Prenons le cas d'un énorme succès au Japon, la série des Love Story, qui a fait l'éducation sexuelle de millions de Japonais : un bide en France. Comment l'expliquer ? Peut-être parce que les jeunes s'informent par d'autres moyens? Ou que pour eux le manga est synonyme de super héros et qu'il doit le rester ?

Enfin, dernier point, je suis surpris, quand vous dites que le manga n'est pas que violent (ce qui est vrai au demeurant), que vous citiez Battle Royal et sa réflexion sociale. Je vous avoue que je n'ai pas lu le manga, mais j'ai vu un bon paquet de fois l'adaptation cinématographique...(un et deux). C'est ultra violent, et réputé pour ! Le message du film est ultra simpliste, avec d'un côté les méchants parents prêts à laisser leurs enfants s'entretuer pour sélectionner les winners (pas super original en plus, Sparte le faisait déjà), de l'autre les enfants horrifiés, avec leur fraîcheur innocente, mais qui s'entretuent quand même... Avec finalement deux ou trois péquins (sans jeu de mot) qui décident d'entrer en résistance, et qui constituent un groupuscule armé qui dézingue de façon beaucoup plus légitime les adultes.
Tout cela est un joyeux prétexte pour faire gicler des flots de sauce tomate et voir des entrailles palpitantes se répandre au moyen d'outils sophistiqués...
Pour tout vous dire, on regardait ça le soir en prépa pour décompresser, c'était plus un moyen cathartique qu'un objet de réflexion ! Je ne sais pas si le manga était du même style, mais le film, qui a pas mal marché en France a été prisé pour ce dézingage massif, et rien d'autre. Vu que les gens ont ces images en tête à l'évocation du nom Battle Royal, je ne sais pas si c'était le meilleur exemple à prendre...(même si le manga est sans doute plus subtil)

Voilà donc mon point de vue : si le manga est un genre riche, sans doute outil de réflexion au Japon, en France, seule sa version abatardie connaît un vrai succès, auprès de jeunes qui jouent à la guerre (on a toujours envie quand on est petit) plutôt qu'ils ne réfléchissent à la situation sociale... Bien sûr que d'autres mangas existent en France, que des adultes sérieux les lisent, mais je vois mal comment l'évolution actuelle du manga permettrait un essor de ce public là, au détriment du premier !

Pour vous en convaincre, regardez la chaîne "mangas" sur le satelite : c'est assez soft, sans trop de sang, mais la réflexion va pas bien loin, et ce sont toujours les gentils contre les méchants... En france.

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