Peut-on penser sans angoisse ?
A l’heure où une question peut trouver des réponses en un clic, le dernier ouvrage d’Évelyne Grossman L’angoisse de penser (Les Éditions de minuit, coll. « Paradoxe», 2008, 156 p., 18,50 €) traite une problématique centrale de tous les écrivains-penseurs du XIX siècle : celle de l’angoisse de penser à travers l’écriture. Penser engage le je, le moi et les autres dans l’expérience intime de l’écriture ; penser oblige à faire face au vide et à son propre dépassement ; penser appelle à reformuler les questions. En s’appuyant sur la littérature, la philosophie et la psychanalyse à partir de la manière dont Blanchot, Derrida, Levinas, Lacan, Beckett ont pu décrire cette expérience limite de l’écrire et du penser, cet ouvrage en huit chapitres clairs et concis explore alors ce que nous pouvons en faire et ce qu’elle nous enseigne. Pourtant, il serait particulièrement réducteur d’inviter le lecteur à le lire d’urgence pour se rassurer de ses propres angoisses et boules à l’estomac comme le suggère la quatrième de couverture de l’ouvrage. Ce n’est pas son seul intérêt et ce, même s’il tombe sous l’évidence qu’il soulagera les angoisses de celles et ceux qui cherchent encore à penser, et donc à écrire. En effet, en dressant cette perspective passionnante et stimulante du rapport à l’écriture de l’écrivain, l’auteure invite aussi à découvrir ou à relire ces écrivains. On mesure à quel point penser prend du temps et un temps de plus en plus contradictoire dans un monde où l’action doit être rapide et accessible à tous. Penser, c’est mettre en jeu un je et le monde. Jaccottet écrivait « Quel esprit resterait assuré dans un monde si complexe et si frêle ? ». Tout simplement, cet ouvrage libère l’esprit à travers la lecture. Il donne envie à l’angoisse pour sortir de soi afin de re-penser librement le monde du XXI siècle, et d’éviter les pièges des idées simplificatrices de la compréhension du monde qui nous entoure et surtout le vertige que suscitent à l’âme ces actions trop rapides. Prenons alors le temps de digérer et de dépasser la crainte de la crainte pour redonner un sens et du temps à l’imagination.
Lynda Sifer Rivière, CERMES.
Rédigé par : duclert | 08 juin 2008 à 11:12
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