Perdu
Didier Nordon a le sens de l'humour. On ne peut pas le lui dénier (bien qu'il contribue mensuellement à une publication concurrente).
C'est enlevé et agréable à lire. Mais faut-il le croire? Malin, il a prévenu cette question, en expliquant que justement personne ne le croit, tant son cas semble désespéré : il ne saurait même pas décrire avec précision les environs de son domicile, ni y retourner facilement à partir d'un point quelconque de la ville dans laquelle il habite pourtant depuis de nombreuses années. C'est un procédé argumentaire classique des mystificateurs que d'affirmer que vous ne les croirez pas tant ce qu'ils ont à dire est extraordinaire.
Je me suis donc interrogé sur le crédit à accorder à cet essai. Un rapide sondage du Web via Google, n'a rien donné de très intéressant. On trouve des témoignages ici et là, par exemple, moins réfléchis que le texte de Nordon. Ce dernier, que j'ai croisé au Salon du Livre de Paris, m'a affirmé qu'il ne plaisantait pas. Il m'a proposé d'appeler sa compagne pour vérifier : bluff? Une relation commune a confirmé ses dires.
J'ai alors interrogé Olivier Houdé, de l'université Paris-Descartes, qui a récemment été un très efficace conseiller pour le Dossier de La Recherche sur l'Intelligence. Il n'a pas complètement répondu à mes questions, mais m'a renvoyé aux « 100 mots de la psychologie" qu'il a publié il y a quelques mois (PUF, Que sais-je?, 2008). Au mot « espace », il y aborde la question sous l'angle des neurosciences en particulier, ce qui me conduit à suggérer à Didier Nordon de se proposer comme sujet d'étude : on trouverait sans doute des choses intéressantes en examinant son cerveau, et la psychologie a souvent progressé de façon intéressante grâce à l'étude de cas pathologiques.
Par ailleurs, la fin de l'article le réconfortera sans nul doute :
« Ce qui compte dans l'adaptation spatiale c'est la flexibilité des systèmes référentiels, c'est-à-dire la capacité à changer de point de vue en fonction des exigences, des buts, etc., des situations rencontrées.[...] Dans cette capacité à changer de point de vue par activation/inhibition, utile pour le codage des trajets dans l'espace mais aussi pour les croyances en général (les points de vue mentaux : voir Théorie de l'esprit), le cortex préfrontal joue un rôle important. Le développement de l'enfant – souvent égocentré quand il est jeune – se caractérise précisément par des changements dans cette capacité à se représenter l'espace de différents points de vue. Ceci n'exclut pas la persistance de stratégies égocentrées à l'âge adulte, soit dans le cas où leur activation est efficace, soit par défaut d'inhibition lorsqu'elles ne sont pas pertinentes (voir Développement). Pour cette question dite de « la navigation spatiale », il faut noter que l'Homme – avec son cerveau si complexe et bien organisé – n'est pas le champion parmi les animaux. Nos erreurs de trajets sont fréquentes. Combien de fois ne nous sommes-nous pas perdus (et peut-être, en ce domaine spatial, un peu plus les femmes que les hommes) ? C'est pourquoi le GPS (Global Positioning System), outils d'aide à la navigation, connaît un tel succès. Profitons donc du mot Espace pour faire « profil bas » sachant que dans d'autres domaines de la cognition le titre de prodige nous revient (voir Nombre). Pour l'espace, les prodiges sont le saumon, le chien, le chat, etc. Le saumon se déplace pendant plusieurs années dans l'océan Pacifique, parcourant des milliers de kilomètres, puis revient avec une précision spectaculaire à la rivière où il est né. Et cela ne vaut pas que pour les animaux sauvages ! Combien d'observations n'ont-elles pas rapporté des histoires de chiens ou de chats ayant retrouvé après des trajets invraisemblables leur maître bien-aimé. Le cerveau de l'Homme a toutefois inventé le GPS ! – la géométrie aussi. Faute d'être un bon navigateur, il est bon raisonneur, bon mathématicien et bon bricoleur. »
Luc Allemand, La Recherche
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