L’intégration des jeunes. La République révélée ?
Paru initialement en 2002 sous le titre Les enfants de la République, le nouveau
« Point Histoire » du Seuil, L’intégration
des jeunes. Un modèle français XVIII-XXIe siècles (357 p., 9 €) consacre une étude
pionnière de l’historien Ivan Jablonka sur les jeunes dans la République. Celle-ci a considéré les jeunes, surtout ceux mal nés et mal élevés, comme des
dangers pour l’ordre social. A la souffrance qu’ils ont endurée dans leur
enfance s’ajoute alors celle qu’exerce sur eux l’Etat, « pour faire disparaître
en eux la moindre anomalie, explique le chercheur. C’est une mission et un
honneur : l’être en souffrance finira citoyen », au prix d’une grande
violence (d'autant plus forte qu'elle est légale) et d’une perte d’identité. L’un des problèmes majeurs de la
citoyenneté républicaine est d’avoir posé que l’identité sociale et l’identité
intime menaçaient les fondements mêmes de la société politique. L’enfant
illégitime et rebelle croise ainsi une double hostilité nourrie par les élites
républicaines, la catégorie de jeunes et la classe dangereuse. Pour les filles,
c’est pire encore puisque longtemps elles ne pourront même pas accéder à la citoyenneté
et, à cette occasion, reconquérir un peu d'existence voire imaginer retrouver
cette identité perdue.
Ivan Jablonka ne voit d’évolution qu’à travers la loi, quand l’Etat (et le pouvoir politique) décide que le jeune ne relève plus d’un groupe particulier : « c’est celui au sujet duquel on ne légifère plus, c’est celui que l’Etat ne distingue plus en tant que tel, parce qu’il relève du régime commun ». C’est un bien, et en même temps le basculement dans l’inconnu, car « l’assimilation n’est pas un état objectif et mesurable ; elle est une absence de loi, c’est-à-dire un vide de définitions, de questions, de réponses ; elle est le silence autour de soi ». C’est alors que le social reprend sa domination, avec toute la dureté, la cruauté, qu’il exerce sur ceux qui n’ont pas tous les codes, qui sont des survivants jamais libérés d’une souffrance originelle.
On le comprend à travers cette brève analyse de L’intégration des jeunes, le livre dépasse de beaucoup son objet, pour réfléchir à ce que signifie entrer dans la norme d’une société, par la volonté d’un système politique qui aurait pu, aussi, considérer la richesse de la dissidence, de la différence. Cette grande étude aborde l’immense question de l’articulation, dans la République, de la citoyenneté, de la société, et de la personne. Là où je diverge de l’auteur, c’est dans la modestie avec laquelle il pose le travail du chercheur. Ce n’est, dit-il, ni ce dernier ni a fortiori le jeune lui-même qui décide s’il est assimilé. C’est l’Etat. Je ne le pense pas, et Ivan Jablonka non plus, probablement, simplement parce qu’il s’est employé à écrire ce livre, dans la conviction que le savoir et sa transmission avaient du pouvoir sur les déterminismes, du pouvoir politique.
Vincent Duclert
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