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30 octobre 2012 |

Femme de génie

Blog adèle
Mes confrères de la presse littéraire ont été nombreux à parler en cette rentrée de La déesse des petites victoires de Yannick Grannec (éditions Anne Carrière, 470 p., 22 €). Nombre d'entre eux ont semblé à cette occasion découvrir, avec intérêt, l'existence de Kurt Gödel. Il est effectivement inhabituel de faire de celui-ci un personnage de roman. Que peut-on dire de ce livre du point de vue de la vulgarisation scientifique?

Kurt Gödel était né en 1906 à Brno, dans ce qui était encore l'Empire Austro-Hongrois (le Kakanien de Robert Müsil). Etudiant puis enseignant à Vienne, ses professeur et collègues avaient pour noms Hahn, Schlick ou Carnap. Même pas juif, il fuit toutefois, après l'Anschluss, le régime hitlérien. L'Institut des études avancées de Princeton l'accueillit. Là, il fréquenta Einstein, Oppenheimer, Morgenstern et von Neumann. Il fut naturalisé américain en 1947. Il est mort en 1978, de faim : persuadé que l'on essayait de l'empoisonner, il refusait de s'alimenter.

Gödel est surtout connu pour son « théorème d'incomplétude », l'une des grandes avancées de la logique du XXe siècle, qui a été mis à toutes les sauces depuis. Il s'attaqua aussi à « l'hypothèse du continu », problème qu'il ne parvint pas à résoudre totalement. Et il fit également des contributions en physique théorique, sur la suggestion de son ami Einstein.

Son épouse, Adèle Porkert, est beaucoup moins connue. Danseuse dans un cabaret lorsqu'elle rencontra Gödel ; un peu plus âgée que lui et déjà divorcée ; n'ayant pas fait d'études. Elle était l'opposé de cet homme pour lequel l'esprit aurait été bien plus performant si le corps ne l'avait entravé en permanence. Il lui doit d'avoir vécu si longtemps dans cette enveloppe charnelle qui l'intéressait si peu. C'est elle que Yannick Grannec a décidé de mettre au centre de son récit. Il a bien fait.

On voit peu de science dans ce livre, raconté du point de vue d'Adèle. Son grand homme ne considère pas utile de lui faire partager ses travaux. Quelques repas partagés avec d'autres scientifiques sont l'occasion d'évoquer des aspects de la physique qui se développe à l'époque, relativité et physique quantique. On y partage aussi des anecdotes sur d'autres scientifiques célèbres et, plus sérieusement, des éléments sur les relations entre science et politique. C'est, de ce point de vue, un roman d'ambiance. On ne lira rien que l'on n'a déjà lu dans des publications plus spécialisées. L'auteur ne s'en cache d'ailleurs pas, puisqu'elle livre en fin d'ouvrage une partie de sa bibliographie.

Beaucoup plus intéressant est le travail d'imagination de Yannick Grannec sur ce que pouvait être la vie avec un homme tel que Kurt Gödel. Un génie, certes mais dépressif, maniaque, paranoïaque. Partant de ce qui est publiquement connu du personnage, elle propose une reconstitution de la relation qui unissait ces deux personnes. Mais là, on ne parle plus de science, on parle de littérature.

Luc Allemand

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