Pour une histoire politique de la folie
Professeure au département d’études françaises et francophones de l’Université de Californie-Los Angeles, Laure Murat a déjà à son actif des livres importants (La Maison du docteur Blanche : histoire d’un asile et de ses pensionnaires, de Nerval à Maupassant, Lattès, 2001 ; Passage de l’Odéon : Sylvia Beach, Adrienne Monnier et la vie littéraire à Paris dans l’entre-deux-guerres, Fayard, 2003 ; La Loi du genre : une histoire du "troisième sexe", Fayard, 2006). Elle a publié il y a quelques mois une passionnante et puissante étude, L’homme qui se prenait pour Napoléon. Pour une histoire politique de la folie (Gallimard, 24,90 €). Le sous-titre est important surtout, car il s’agit bien d’une tentative de comprendre ce qu’est le délire des humains, notamment celui qui prend appui sur l’Histoire (au sens de « déroulement des événements, en particulier politique, et non la discipline qui l’étudie et en fait le récit » - d’où le titre du livre), au sein d’une enquête sur les formes d’institutionnalisation de l’asile au XIXe siècle avec, au cœur, un homme, le psychiatre Jean-Etienne-Dominique Esquirol, créateur de l’institution asilaire puisqu’il est à l’origine de la loi de 1838 obligeant chaque département à ouvrir un hôpital spécialisé. Au XIXe siècle, la raison l’emporte sur la folie et enferme les fous. Dans un préambule de 44 pages, un modèle du genre, Laure Murat dépouille toutes les questions qui viennent avec l’étude contemporaine de la folie et restitue l’épreuve que constitua pour elle la plongée dans les archives, particulièrement celles des registres d’observations médicales des grands asiles d’aliénés du département de la Seine au XIXe siècle, de la Révolution à la Commune, de Bicêtre à la Salpêtrière, de Sainte-Anne à Charenton. « Ce sont des grands livres – au propre comme au figuré – de la misère sociale, où échoue le destin de milliers d’hommes et de femmes, pour beaucoup issus de la classe ouvrière, qui ont souvent tout perdu avant d’avoir perdu la raison ». L’homme qui se prenait pour Napoléon est un grand livre, sur la perte et l’enfermement, remarquablement bien écrit et honoré du Prix Fémina-Essai à l'automne dernier.
Vincent Duclert
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