Pas de conservation sans « sauvageté »
Ingénieur de l’Agro, écologue, docteur en histoire et philosophie des sciences, Julien Delord est actuellement maître de conférences à l’université de Bretagne occidentale (Brest). Il vient de publier L’extinction d’espèce, Histoire d’un concept et enjeux éthiques (Publications scientifiques du Muséum, 2010, 691 p., 45 €). On connaît la qualité de cet éditeur universitaire. Ainsi, Jean-Marc Drouin est l’« editor » (malencontreusement traduit par « rédacteur ») de l’ouvrage - formules malheureuses mais gage de qualité : c’est admirablement illustré et composé (sur du beau papier - non démagogiquement recyclé). Le plan du livre est classique, en trois parties : histoire du concept d’extinction, aspects scientifiques et philosophiques de la question et réflexion sur sa dimension éthique. Et ce classissisme est paradoxal car ce livre est, curieusement, le premier du genre, d’une part parce qu’il est porteur de l’idée forte selon laquelle la question de la responsabilité des sociétés humaines face aux extinctions doit être traitée sous l’angle exigeant de la réflexion éthique (et non sur le mode de l’incantation culpabilisatrice, ou du catalogue déploré des espèces disparues ou menacées). D’autre part parce qu’il est impressionnant par son exhaustivité : l’auteur met ainsi au jour les « origines de l’idée d’extinction au paléolithique » pour aboutir à ce que nous constatons aujourd’hui. L’ensemble étant constamment hanté par ce que la philosophie peut nous enseigner en matière d’extinctions d’espèces. Ainsi de l’idée de « lutte pour la vie » chez Nietzsche et Darwin : les « faibles » chez Nietszche, sont – selon l’auteur -les « forts » chez Darwin. Du même coup, la prise de parti philosophique pour l’un ou pour l’autre induira des regards bien différents sur l’idée de « conservation », par exemple.
Il y a quelques années Julien Delord a réintroduit le mot d’ancien français « sauvageté » pour rendre l’idée du caractère à la fois sauvage et libre de cette « nature » que les américains nomment « wilderness ». Il ne s’agit évidemment pas d’une coquetterie de langage. Delord fait de ce mot un concept, opératoire pour dépasser l’antagonisme classique anthropocentrisme-écocentrisme : « Pas d’espèces sans extinctions. Pas de conservation sans sauvageté ».
Pascal Acot
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