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17 juin 2010 |

Le mythe gaullien

Le surnom de « colonel Motor » fut donné au futur général de Gaulle en raison de sa constance dans la défense du projet de constitution d’unités motorisées blindées seules capables selon lui de combattre efficacement sur le champ de bataille et de vaincre l’Allemagne. Le terme n’était guère valorisant pour ceux qui l’affublaient d’un tel qualificatif. Rétrospectivement, les constats de Marc Bloch (voir le billet d’hier) sur la désintellectualisation des milieux militaires et du haut état-major se confirmaient. En revanche, chez de Gaulle, cette dimension intellectuelle était bien présente, grâce notamment au colonel Mayer, son « mentor » durant les années d’entre-deux-guerres. Une biographie collective a été consacrée à ce personnage hors du commun, dreyfusard et anticonformiste, aux éditions Armand Colin en 2007 (Le colonel Mayer, de l'affaire Dreyfus à de Gaulle. Un visionnaire en République, 424 p., 32,30 €). Blog mayer

Le politique se réveilla, trop tardivement cependant, sans la volonté définitive qui s’impose au milieu des périls. Entré au gouvernement à l’appel du président du conseil Paul Reynaud, le colonel de Gaulle, nommé général de brigade (les fameuses « deux étoiles » qu’il allait conserver toute sa vie, refusant en janvier 1946 celles que l’Assemblée voulut lui donner pour services rendus, alors qu’il allait quitter – provisoirement – le pouvoir), se révéla un acteur important du dernier gouvernement légal de la IIIe République. Et c’est cette légalité qu’il emporta à Londres, au matin du 17 juin, s’envolant vers 9 heures, revenant dans la capitale qu’il avait déjà rallié le 9 juin précédent pour imaginer, avec le gouvernement anglais de Winston Churchill, la solution de l’union des deux pays en guerre. En vain. Ce projet n’avait pas permis d’empêcher la « révolution de palais » que le vice-président du Conseil, le maréchal Pétain, orchestra le 16 juin au soir. De Gaulle le dit à Jean Monnet à Londres, dans la journée du 17, où il venait de rompre le devoir d’obéissance pour demeurer précisément fidèle à une République qu’il n’avait pas tellement aimée : « Il n’y a plus rien à faire en France. C’est ici que nous travaillerons ».

Blog sudhir
Le « mythe gaullien » commença dans la « reconnaissance du Libérateur », écrit l’historien d’Oxford, très grand connaisseur des fondements légendaires de la France contemporaine, Sudhir Hazareesingh, dans une très belle étude parue le 25 mai dernier, aux éditions Gallimard, dans la collection « La suite des tempes ». Maurice Agulhon, en son temps, avait déjà exploré le mythe de Gaulle (De Gaulle. Histoire, symbole, mythe, Plon, 2000). Hazareesingh le fait plus systématiquement, en posant l’hypothèse un « mythe gaullien » qui épouse plus profondément les contours d’une France épique et morale et qui contribue à maintenir en activité le mythe napoléonien sur lequel travailla aussi l’historien. « La supériorité comparée de la mystique gaullienne résida – et réside encore – dans sa capacité à prendre appui sur les mythes qui l’avaient précédée pour donner ainsi un sens contemporain aux idéaux transhistoriques qui marquaient l’imaginaire national : héroïsme, sens du devoir, sentiment d’appartenance, refus de la fatalité, mépris du matérialisme. De Gaulle rôde souvent dans la pénombre lorsqu’il est question de nourrir la réflexion contemporaine sur le dépassement de l’individualisme borné et de penser un retour à une forme de sacralité collective républicaine ». Ressort puissant d’un mouvement de réconciliation nationale et historique, la mystique gaullienne fournit à la France du second XXe siècle l’imaginaire qu’elle recherchait pour affronter la modernité. Cet imaginaire « bien tempéré », elle le recherchait « depuis la nuit de temps ; grâce à Charles de Gaulle, il semblerait qu’elle l’ait enfin trouvé », écrit, pour conclure, provisoirement, l’historien.

Le « mythe gaullien » permit à l’histoire de réinvestir profondément le temps de « juin 40 » où le général de Gaulle, isolé à Londres, méprisé par les Américains, tentait de construire, du moins un Etat, sinon une organisation de la France combattante. Mais c’est ce temps que retenaient ceux et celles des Français qui le ralliaient, comme ce « groupe de Françaises de la zone occupée » qui lui écrivit en 1942 et dont Sudhir Hazareesingh cite le texte d’ « adhésion fervente ». « Depuis ce temps-là [dejuin 1940], vous incarnez pour nous la France, la France fidèle à elle-même, à son passé, à ses traditions, à ses héros, à ses penseurs, la France immortelle, la France tout court ». C’est important d’être fidèle à soi-même, et plus encore de définir l’objet de cette fidélité. Le « mythe gaullien » le permet, comme l’historien d’Oxford le démontre.(Le mythe Gaullien, 281 p., 21 €).

Vincent Duclert

Remarquons la photographie de couverture de l'ouvrage, splendide, l'homme sortant des brumes de l'histoire pour incarner, à Londres, le 28 novembre 1942, au Royal Albert Hall, la voix et l'image de la France. Le mythe est en marche.

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